Le soldat et la résilience française en question



Publié par Pierre-Marie Meunier le 23 Février 2013

OPINION
La concomitance de deux événements tragiques sur le sol africain, à savoir la prise en otages d’une famille et la mort d’un soldat français, m’amène à m’interroger directement sur la capacité des Français à absorber le choc de nouvelles pareilles.



Soldats français en transit vers le Mali (source : US AfriCom)
Cette capacité, dont d’autres que moi pourraient donner une définition plus rigoureuse, s’appelle la résilience, soit la faculté de rester concentrer sur son objectif, malgré les aléas des actions menées pour y parvenir. Or la prise en compte de ces événements, aussi bien par l’opinion publique que par le pouvoir politique, me parait problématique. Force est de constater que ni les uns ni les autres, de manière générale, ne réalisent pleinement les enjeux de ce dans quoi nous nous sommes engagés, même si cela a été décidé de façon résolue et réfléchie, je l’admets volontiers.
 
Cette semaine a été marquée par le décès d’un sous-officier du 2ème REP, qui mérite totalement la qualité de « Français par le sang versé ». Or les Français eux-mêmes semblent avoir du mal à concevoir ce qui signifie l’engagement de cet homme pour un pays qui n’est pas le sien, mais qui l’a accueilli au sein d’une nouvelle famille : la Légion étrangère. Sans avoir appartenu à ce corps prestigieux, il m’a été donné de le voir à l’œuvre : hautement professionnel, redoutable et par-dessus tout, terriblement efficace. Mais la Légion pourrait également donner des leçons en matière d’intégration à une France en panne de modèle. La France se cherche, alors que les Français sont perdus trop absorbés par la crise et ses conséquences sur le pouvoir d’achat.
 
La France est en guerre pourtant, mais contre un ennemi que l’on peine à définir clairement : terroristes, islamistes, narcotrafiquants, coupeurs de route, preneurs d’otages…Quoiqu’il en soit la France mène bataille contre des personnes qui ont toutes le point commun d’avoir fait de la France leur ennemie mortelle, et qui sont prêts à tout pour nous atteindre. Et ces ennemis ne sont pas qu’au Sahel : les assassinats de soldats français et d’enfants juifs à Toulouse et Montauban sont là pour nous rappeler que nous abritons, sur notre sol même, un certain nombre d’éléments nourris de haine contre le pays qui les héberge, et prêts à passer à l’action meurtrière sans que l’on sache vraiment pourquoi. Il n’y a pas forcément de lien organisationnel entre ces mouvements, et c’est là tout l’avantage des organisations criminelles à tendances terroristes : l’absence de nécessité de coordination, découlant de l’organisation en cellule indépendante les unes des autres. Chaque élément peut agir seul, selon sa propre volonté ; il lui suffit de partager cette idéologie de haine avec ceux dont il se réclame, et de le revendiquer a posteriori.
 
Cette semaine a été aussi l’occasion d’une grande confusion autour du sort des nouveaux otages, avec certaines gesticulations médiatiques de personnes qui auraient du éviter de tomber dans le piège du coup de pub, et quelques journalistes qui ont réappris à leurs dépens qu’une source doit toujours être recoupée. Concernant le sort de nos otages, l’erreur serait de croire que notre inclination à la négociation va nous assurer un jour, finalement, les bonnes grâces de ces mouvements : pourquoi arrêteraient-ils de prendre des français en otages, puisque nous sommes une denrée si abondante sur le continent africain et si rentable ? Même si, officiellement, il n’est pas question d’argent, amener par la force un Etat à négocier avec une organisation criminelle est déjà une marque de faiblesse de l'Etat en question. Et c'est, entre autres, parce que nous paraissons faibles que nous sommes visés.
 
L’intervention au Mali va dans le bon sens pourtant, avec en ligne de fond un message aux preneurs d’otages : contre toute attente nous avons trouvé la volonté et les moyens d’aller les traquer jusque dans leurs repaires les plus profonds. Le défaut de cette démarche est de l’avoir insuffisamment expliqué aux Français eux-mêmes. Il est certes remarquable que le soutien politique à cette intervention soit demeuré relativement constant, tout bord confondu, à l’exception de certains extrémistes de gauche, se revendiquant malgré cela de l’idéologie la plus meurtrière de la planète. Par contre, notre classe politique en particulier et le peuple français en général témoigne d’une méconnaissance dramatique de la condition de soldat.
 
La professionnalisation des armées, pour bénéfique qu’aient pu être ses effets, a achevé de creuser le fossé entre le peuple et son armée, même si l’opinion reste globalement très bonne. Le peuple français ne connait ses soldats qu’à travers le prisme médiatique, et des rares moments d’échange dans l’année. Les hommes et les femmes qui se battent sous uniforme français, partout autour du monde, dans des conflits qui ne parlent pas à l’imaginaire populaire, sont de moins en moins connus. Il n’y que lors des hommages rendus à nos morts qu’un semblant de cohésion nationale se retrouve, mais il n’y a pas beaucoup de monde sur le pont Alexandre III lorsque passe le cortège funèbre. Il ne fait pas de doutes que tous les honneurs seront rendus au soldat tombé pour la France. Mais même sur le terrain de l’hommage notre classe politique a du mal à se placer, ne sachant pas s’ils en font trop ou trop peu. Il fut un temps pas si lointain où un ministre de la défense s’envolait pour l’Afghanistan à chaque nouvelle victime française. Les conflits que nous traversons actuellement font peu de victimes françaises et c’est heureux. Mais dans un monde qui réarme massivement, à l’exception de l’Europe, la probabilité d’un conflit conventionnel meurtrier n’est pas nulle. Comment notre classe politique et l’opinion publique réagiraient elles à cette éventualité ? Probablement par la paralysie, et c’est en cela que la résilience française est en danger. Peut-être qu’un conflit conventionnel entre Etats européens est aujourd’hui hautement improbable, mais c’est bien la seule forme de conflit disposant d’une aussi grande certitude. La France est en lutte permanente pour la défense de ses intérêts vitaux, qui vont bien au-delà des limites de ses frontières physiques. Et ces luttes seront encore à l’avenir l’occasion de conflits dont il est impossible de prévoir le lieu ou les caractéristiques. Une guerre ne sera jamais faite de batailles « zéro mort », parce que la dialectique des volontés est une affaire trop complexe pour se soumettre à une planification rigide. Des « brouillards de la guerre » aux « frictions », tous les conflits sont sources d’incertitudes, et même l’armée la plus performante qui soit n’est pas à l’abri des hasards ou de la malchance. Et cela se traduit la plupart du temps par des morts, d’un côté ou de l’autre.
 
Certes, nos dirigeants savent se rendre aux Invalides pour honorer la mémoire des disparus. Mais ce n’est pas de cela dont ont prioritairement besoin nos soldats de la part de leur classe politique. Ceux qui se battent sans jamais demander pourquoi, ni choisir leur combat, parce que tels sont les principes découlant de leur vocation, ont besoin d’un soutien inconditionnel et de la confiance de ceux qui les envoient peut-être mourir à l’autre bout du monde. Et non, contrairement à ce que l’on peut lire dans certains commentaires d’internautes mal inspirés, un soldat n’est pas payé pour mourir, pour autant qu’il soit payé tout court d’ailleurs. Un soldat est payé pour porter la volonté de l’Etat là où il l’ordonne, par les armes s’il le faut. Et dans ce cadre, il est prêt à mettre en jeu sa vie dans l’accomplissement de sa mission. Le don de soi est une notion qui parait bien incongrue dans nos sociétés individualistes. Mais il existe encore des hommes et des femmes pensant que les idéaux qu’ils servent ont plus de valeur que leur propre vie. Le métier de soldat n’est pas un métier comme les autres en ce sens. C’est un métier qui fait appel à quelque chose de plus grand que soi, et c’est pour cela que l’on parle de vocation. Bien d’autres métiers font appel à la vocation, mais seul celui de soldat revient à remettre sa propre existence entre les mains d’une autorité supérieure.
 
C’est le pouvoir exorbitant du mandat confié à nos dirigeants. Qu’ils s’en montrent dignes en cherchant au moins à comprendre les hommes et les femmes qu’ils envoient servir à l’autre bout du monde, en les assurant du soutien indéfectible de la Nation et en leur donnant les moyens de leur mission. Si ceux-ci sont aujourd’hui « juste insuffisants », la parution prochaine du nouveau Livre Blanc alimente les pires craintes à l'avenir. En parant au déclassement de nos armées et en le faisant savoir, nous conserverons sa crédibilité à un outil indispensable au rayonnement politique et diplomatique de la France sur la scène internationale. C’est parce que la France peut intervenir comme elle le fait au Mali que nous sommes écoutés. Que gagnerait la France à entamer le potentiel de ses armées ? Si notre classe politique n’a pas plus de vision sur le long terme que des économies facilement réalisées, dans un secteur qui ne risque pas de descendre dans la rue, alors il est peut-être temps pour les Français de reconsidérer le mandat confié.
 

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