La marine italienne se projette vers 2040 avec un super porte-avions



Publié par Aurélien Lacroix le 12 Juin 2025

Rome réévalue ses priorités navales. Entre tensions croissantes en Méditerranée, ambitions de projection internationale et évolutions capacitaires à long terme, l’Italie envisage l’acquisition d’un porte-avions nucléaire. Un chantier complexe, mais révélateur d’une inflexion stratégique majeure.



L’Italie étudie un porte-avions nucléaire : vers une bascule capacitaire majeure

Le gouvernement italien analyse la possibilité de doter sa flotte d’un porte-avions à propulsion nucléaire, avec un horizon technico-opérationnel situé à l’horizon 2040. L’annonce, discrète mais structurée, émane de la Marina Militare elle-même, qui inscrit cette option dans ses plans capacitaires à long terme. Ce projet, s’il est mené à son terme, placerait l’Italie dans le cercle restreint des nations maîtrisant cette technologie. Seuls deux pays disposent aujourd’hui de porte-avions nucléaires opérationnels : les États-Unis et la France. Pour l’Italie, le défi est à la fois technique, industriel, opérationnel et politique.

Selon les analyses reprises par BFMTV, le bâtiment envisagé atteindrait 100 000 tonnes de déplacement. Il s’agirait d’un porte-avions de très grand format, doté d’une propulsion nucléaire afin de garantir une autonomie accrue et une permanence en mer sans ravitaillement sur de longues périodes.

L’option nucléaire répond à trois critères principaux définis par l’état-major : la capacité de projection intercontinentale, l’endurance énergétique sur théâtre d’opération éloigné, et la fiabilité logistique dans un environnement naval potentiellement contesté. Un expert anonyme cité dans Mer et Marine résume ainsi la logique du projet : « Si l’Italie veut tenir sa place dans les déploiements OTAN ou en Indo-Pacifique, elle devra sortir du cadre méditerranéen. Le nucléaire en est la condition. »

L’amiral Credendino et la doctrine navale en évolution

Interrogé par le Corriere della Sera dans une interview publiée le 8 juin 2025, le chef d’état-major de la Marina Militare, Enrico Credendino, rappelle que l’Italie fait face à une série de menaces concrètes. Il détaille l’engagement naval en mer Rouge : « Nos navires ont été contraints de riposter à huit attaques de drones Houthi, dont cinq neutralisées par missiles. » Ce type d’intervention illustre le besoin de capacité de projection souveraine, y compris loin du territoire national.

Plus préoccupant pour l’amiral : la présence continue de navires et sous-marins russes dans le bassin méditerranéen. Il déclare : « En deux ans, nous avons surveillé quinze unités russes, dont trois sous-marins, et assisté à une intensification de la surveillance électronique au large de la Libye. » Il met également en garde contre une éventuelle prise de contrôle par Moscou du port de Derna : « Ce serait une catastrophe stratégique. »

Dans ce contexte, le futur porte-avions aurait une fonction plus large qu’un simple vecteur aéronaval : il incarnerait une posture stratégique durable et permettrait à l’Italie de réagir de manière autonome aux évolutions sécuritaires du flanc sud de l’Europe.

Contraintes industrielles et perspectives capacitaires

Sur le plan technique, la construction d’un porte-avions nucléaire implique le développement ou l’importation d’un réacteur naval certifié, une expertise que ni Fincantieri ni Leonardo ne maîtrisent aujourd’hui pleinement. Toutefois, des études exploratoires sont en cours depuis 2023 selon plusieurs documents internes, et des ingénieurs militaires auraient été envoyés en mission d’observation dans les arsenaux français et américains.

Par ailleurs, ce projet s’intègre dans un effort plus large de modernisation de la flotte. L’amiral Credendino indique que l’ensemble des unités navales italiennes sera progressivement équipé de drones de surface et sous-marins : « Toute notre flotte sera équipée pour embarquer des drones de tout type. » Cette transformation repose sur une doctrine qui privilégie l’autonomie, la connectivité et la résilience numérique.

Cependant, il souligne également un frein structurel : le manque d’effectifs. « Nos homologues français et britanniques ont chacun environ 40 000 marins. Nous devons rattraper ce différentiel si nous voulons armer et maintenir un groupe aéronaval complet », insiste-t-il.

État actuel de la flotte italienne : capacités et limites

La flotte de la Marina Militare repose actuellement sur deux unités principales pour la projection aéronavale : le Cavour, porte-aéronefs de 27 000 tonnes, mis en service en 2008, et le Giuseppe Garibaldi, en fin de cycle opérationnel. Aucun des deux n’est équipé de propulsion nucléaire. Le Trieste, récemment intégré, est un porte-hélicoptères polyvalent mais ne dispose pas d’une capacité de lancement d’avions à réaction.

Dans ce contexte, l’hypothèse d’un remplaçant nucléaire pour le Cavour d’ici 2040 apparaît comme une évolution doctrinale majeure. Elle repositionnerait la marine italienne comme une force de projection intercontinentale, capable de participer à des opérations globales sans dépendance logistique extérieure.

Au-delà des capacités techniques, le projet reflète une lecture stratégique renouvelée des rapports de force en Méditerranée. Avec une Russie active à Tartous (Syrie) et des velléités de présence en Libye, le flanc sud de l’Europe devient une zone contestée. L’Italie, à travers ce projet, vise à assurer une autonomie stratégique dans le cadre de l’OTAN, tout en préparant sa flotte à opérer en coalition ou en autonomie, selon les scénarios d’emploi.

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