Un champ de bataille invisible : la société elle-même
L’objectif n’est plus de vaincre l’ennemi par les armes, mais d’influer sur son environnement social au point de neutraliser sa capacité d’action.
Contrairement à la guerre classique, la GMS est indirecte : elle contourne l’affrontement frontal.
Elle est globale : elle utilise simultanément la psychologie, la sociologie, la culture, l’économie, les récits, les réseaux, l’information.
Elle est continue : elle n’a ni commencement net, ni fin identifiable. Cette guerre peut être menée sans qu’aucun coup de feu ne soit tiré. Elle infiltre les esprits plutôt qu’elle ne détruit les infrastructures.
La doctrine française oubliée : de la guerre d’Indochine à la pacification sociale
Raphaël Chauvancy montre que la France a été l’un des premiers pays à conceptualiser cette approche. Le général Némo, officier des troupes de marine, identifie dès les années 1950 que le véritable terrain décisif n’est pas militaire mais social. Selon lui, un groupe humain obéit à des règles, des besoins, des codes, des imaginaires : c’est là que se joue la bataille.
En Indochine, le Vietminh a compris avant les Français qu’en contrôlant le milieu social ; villages, solidarités locales, récit national, cadres de vie, il pouvait faire basculer la population. Les forces françaises, pourtant supérieures militairement, ont perdu parce qu’elles avaient perdu la bataille de la légitimité et du lien social.
Modifier la société plutôt que l’ennemi
La GMS ne vise pas à convaincre un adversaire, mais à altérer les mécanismes sociaux qui permettent son action collective.
Elle s’attaque :
à sa cohésion ;
à ses récits fondateurs ;
à ses relais d’autorité ;
à ses réseaux d’influence ;
à ses ressources psychologiques.
L’objectif n’est pas de répondre à l’agression mais de rendre impossible l’expression même d’une menace.
Une compétition mondiale : tous les États y ont recours
Raphaël Chauvancy montre que la GMS n'est pas une théorie marginale, mais la nouvelle réalité géopolitique.
Les États-Unis maîtrisent depuis longtemps le political warfare ; la Chine applique la Guerre hors limites ; la Russie excelle dans la subversion ; la Turquie agit via sa diaspora et ses séries TV ; la Suède a créé une Défense psychologique nationale. La France, elle, commence seulement à se doter d’outils, alors même que ses intérêts sont attaqués en Afrique, en Europe et sur son propre territoire informationnel.
En conclusion, la GMS est l’une des clés de compréhension du XXIᵉ siècle. Elle révèle que les sociétés sont désormais le premier champ de bataille. Que la puissance s’exerce d’abord sur les perceptions. Et que la légitimité vaut souvent plus que la force.
C’est une guerre sans violence, sans bruit, sans victoire spectaculaire. Mais c’est bien la guerre déterminante de notre époque.