La France prépare une nouvelle capacité de frappe balistique conventionnelle



Publié par Paul-Gabriel LANTZ le 2 Décembre 2025

Dans la nuit du 27 au 28 novembre 2025, la Direction générale de l’armement (DGA) et ArianeGroup ont réalisé depuis le site d’Essais de missiles de Biscarrosse le premier tir de la nouvelle fusée-sonde SyLEx, « Système de Lancement d’Expériences ». Ce vol d’essai s’inscrit dans la montée en puissance des programmes hypersoniques français, en particulier le planeur VMAX et le futur missile balistique terrestre (MBT) à charge conventionnelle.



Un tournant doctrinal discret pour la dissuasion française

Armée de l'air et de l'espace et Ministère des Armées et des anciens combattants
SyLEx est présenté par ArianeGroup comme un système intégré de fusées-sondes, destiné à emporter des charges expérimentales en vol suborbital, qu’il s’agisse d’expériences scientifiques, de technologies de défense ou de démonstrateurs hypersoniques comme VMAX. 

En rétablissant une capacité nationale d’essais suborbitaux, la France se dote d’un maillon technique indispensable pour développer des vecteurs de frappe dans la profondeur fondés sur des briques issues du programme M51 et du planeur VMAX. 
Depuis les origines de sa force de dissuasion, Paris a veillé à bien distinguer vecteurs nucléaires et moyens conventionnels, afin qu’un tir balistique français ne soit jamais interprété comme autre chose qu’un signal nucléaire. Ce dogme est aujourd’hui remis en question par l’expérience ukrainienne : les vecteurs russes, dont plusieurs sont à capacité duale, sont employés quotidiennement avec des charges conventionnelles, sans susciter de confusion sur la nature de la frappe. 

L’introduction d’un Missile balistique terrestre à charge conventionnelle, d’une portée annoncée supérieure à 1 000 km, marquerait ainsi une évolution doctrinale majeure : une capacité de frappe balistique stratégique sans franchir le seuil nucléaire.

 

Répondre aux frappes multivecteurs observées en Ukraine et au Moyen-Orient

Les campagnes de frappes conduites par la Russie contre l’Ukraine, combinant drones d’attaque, missiles de croisière subsoniques et missiles aérobalistiques, démontrent les limites d’une approche centrée sur la seule défense antiaérienne, malgré l’apport des systèmes occidentaux livrés à Kyiv. Les attaques iraniennes des deux dernières années contre Israël ont confirmé qu’aucun bouclier n’est totalement étanche lorsque l’adversaire dispose de volumes importants de frappes et de vecteurs variés. 

Dans ce contexte, la France, comme d’autres États européens, cherche à disposer de moyens permettant de frapper en retour les centres politiques, militaires et logistiques adverses, dans une logique d’équilibre conventionnel et non plus seulement nucléaire.

Le futur MBT s’inscrit dans cette logique. Sa trajectoire balistique le rapprocherait des systèmes russes les plus difficiles à intercepter, tout en restant armé d’une charge classique. Il pourrait ainsi être employé pour des missions de neutralisation des défenses anti-aériennes  adverses pour ouvrir des couloirs sécurisés à l’aviation de combat.

L' Europe entre dans une phase de réarmement structurel où la frappe en profondeur conventionnelle devient un pilier de la crédibilité militaire. 

 

Un outil projetable sur le flanc Est de l’Europe

Minuteman III test launch - wikimédia Commons
L’intérêt d’un MBT conventionnel réside dans sa facilité de projection : l’absence de charge nucléaire simplifie les contraintes politiques, juridiques et techniques liées à son déploiement sur des territoires alliés. Positionnées en Pologne, en Finlande ou dans les États baltes, les MBT français pourraient couvrir la Russie européenne, contribuant à une dissuasion conventionnelle collective au profit de l’OTAN tout en restant sous contrôle national.

Parallèlement, plusieurs alliés européens travaillent à leurs propres solutions de frappe à longue portée, le Royaume-Uni et l’Allemagne ayant annoncé un projet commun de missile d’environ 2 000 km de portée, probablement de croisière furtif. La combinaison, d’un vecteur balistique français et de missiles de croisière furtifs germano-britanniques offrirait un éventail de profils de vol capables de saturer ou de contourner les défenses adverses, renforçant la posture globale de dissuasion conventionnelle en Europe.

En dotant la France d’un moyen de frappe en profondeur conventionnelle, ce dernier compléterait la dissuasion nucléaire sans s’y substituer, offrant au niveau politique une gamme de réponses graduées à des agressions « sous le seuil », dans un environnement européen marqué par le retour des frappes à longue portée.

 


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