L’espionnage chinois en France



Publié par Grégoire Delanoue le 14 Juin 2022

Depuis quelques années, le nombre de cas d’espionnage, avérés ou suspectés, par des étudiants chinois dans des établissements de recherche occidentaux, a connu un réel essor. Les organismes d’État tirent la sonnette d’alarme : une culture de la prévention et de la protection de l’information est nécessaire dans les milieux universitaires.



Souvenez-vous de la brillante étudiante multi-diplômée Li Li Whuang qui en 2005 avait été arrêtée à la fin de son stage chez Valeo car son employeur la soupçonnait d'espionnage industriel. Chez elles, les enquêteurs avaient retrouvé pas moins de 6 ordinateurs et des disque dur qui stockaient une grande quantité de documents considérés comme confidentiels par l'entreprise, dont des informations sur des modèles pas encore sortis. Condamnée en 2007 pour "abus de confiance" et "accès frauduleux à un système informatique", aucune charge concernant de l'espionnage industriel n'a finalement été retenue contre elle puisqu'aucun élément n'a pu l'attester formellement.
 
 
Un accès privilégié aux données de recherche et une porte ouverte aux entreprises innovantes stratégiques
 
En 2015, Antoine Izambard publiait un ouvrage, France Chine, les liaisons dangereuses, qui menait une investigation sur les manœuvres employées par la Chine en France en matière d’espionnage sur le plan économique et militaire. Il révèle notamment le constat qui est fait de rapprochement d’étudiants chinois vers des secteurs clefs dans la région brestoise, connue pour concentrer des d’entreprises innovantes dans le domaine de la défense ou encore des biotechnologies. On compte en effet un nombre important de mariages entre des étudiantes chinoises et des militaires ou encore avec des étudiants des universités et écoles qui forment les futurs employés des entreprises stratégiques de la région. Dans une école d’ingénieur, spécialisée notamment dans la recherche dans le civil et le militaire, un grand nombre d’étudiants issus d’un même institut y poursuivaient des études en 2015. Or, l’établissement, l’Institut de technologies de Harbin situé en Chine, est géré par une agence gouvernementale chinoise. Il y a de quoi s’inquiéter, surtout quand on se souvient qu’un homme lié au ministère de la sécurité chinois a été retrouvé dans les locaux d’une start-up spécialisée dans l’exploitation des ressources marines. En tout cas les nombreux étudiants chinois de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) parlent plutôt d’une opportunité d’apprendre le français, ce qui permettra de participer à la coopération entre le monde occidental et la Chine. Pour ce qui est des mariages, c’est pour eux un signe d’intégration.
 
Un désir de se former en France ou une pénétration intentionnelle dans les des établissements innovants pour y collecter des informations intéressantes pour l’industrie chinoise ?  Si assez peu de cas d’espionnage ont été révélés au grand public, une note secrète de la DGSI s’inquiète toutefois de l’intérêt accru de la Chine pour les entreprises de télécom, d’océanographie et dans le domaine militaire « la recherche française est exposée à des captations de savoir-faire et de technologies potentiellement préjudiciables aux intérêts économiques nationaux. ».

 
Rappelons que dans le plan Made In China 2025, les secteurs de l’armement, de l’aéronautique, des biotechnologies, de la robotique sont mis en avant. Récolter des données de recherche toute cuites est donc un enjeu dans l’expansion économique du pays.

En réalité, il semblerait que si elle n’est pas toujours l’intention première des jeunes Chinois qui partent étudier à l’étranger, la récolte d’informations fasse partie d’une culture globale de l’espionnage. Selon Michel Juneau-Katsuya, expert canadien en sécurité nationale, toute personne qui part à l’étranger pour y étudier se doit de revenir avec des informations. « Les services secrets chinois vont s’asseoir avec les gens et leur demander ce qu’ils comptent ramener. ». Il raconte l’histoire d’un professeur d’université qui avait oublié sa clef USB à son bureau. En revenant la récupérer à une heure inhabituelle, il était tombé nez à nez avec un étudiant chinois qui avait étalé tous ses documents de recherche sur son bureau et prenait des photos. Si l’étudiant avait été renvoyé, aucune poursuite n’avait cependant été engagée. En effet, certaines universités se trouvent dans une situation délicate puisqu’étant donné la part importante d’étudiants dans les établissements, poursuivre un étudiant pourrait conduire au départ de tous les autres étudiants, au risque d’une perte très importante de revenus en provenance de Chine.
 

Face à la naïveté des établissements de recherche : adopter une culture de la protection de l’information dans les milieux scientifiques.
 
L'Inspection Générale des Finances (IGF) a remis au début de l’année au gouvernement un rapport sur "les enjeux de la protection des savoirs et savoir-faire dans les domaines de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique". En raison du constat ces dernières années d’une stratégie systémique chinoise d’ingérence dans les universités françaises, l’IGF alerte sur la nécessité de faire de la prévention et former pour mettre en application des mesures de protection. Il existe bien des zones à régime restrictif (ZRR) qui circonscrivent les espaces accessibles aux étudiants et aux doctorants pour y travailler. Ces dernières apparaissent comme des cibles privilégiées. C’est pourquoi l’IGF appelle à une meilleure pédagogie vis-à-vis de l’utilisation de ces ZRR. La naïveté de certaines universités française est particulièrement pointée du doigt comme celles de Metz et de Strasbourg dont les laboratoires, sensibles, ont subi l’espionnage d’une étudiante chinoise ou encore le cluster Paristech qui a établi un programme d’échange de recherches et d’étudiants avec une université chinoise liée à l’Armée Populaire de Libération, dont les systèmes informatiques ont été pénétrés par l’ordinateur d’un étudiant chinois. Le groupe « C9 » constitué des neuf meilleures universités de recherche chinoises est source de préoccupations. Ces universités, pour la plupart liées à l’État chinois, nouent des partenariats avec les universités et écoles françaises. Un cas particulièrement inquiétant est l’école universitaire ISBlue, un établissement de recherche océanographique à Brest fondé en 2019 en partenariat avec le CNRS et le China Scolarship Council. Ce dernier attribue des bourses aux doctorants en France en l’échange de la remise régulière à l’ambassade de Chine de dossiers qui justifient l’avancée de leurs travaux de recherche. Le gouvernement a montré l’année dernière une volonté d’agir en empêchant l’établissement d’un accord-cadre entre Télécom Paris et l’entreprise Huawei, qui avait déjà fait un don de 70000 euros à l’école d’ingénieur en 2019.
 

Aujourd’hui, 47500 Chinois poursuivent leurs études en France. Les étudiants français peuvent également être l’objet de manipulations, à travers des faux entretiens d’embauche en Chine, où, accablés de questions ils en viennent à révéler des informations sur leurs recherches passées ou encore sur les organigrammes de décision des entreprises où ils ont effectué des stages par exemple.
 
 
 

Dans la même rubrique :