Kyiv : l’Ukraine accélère la production de missiles de croisière pour compenser le désengagement occidental



Publié par Paul-Gabriel LANTZ le 24 Décembre 2025

Alors que la guerre d’attrition s’enlise sur une ligne de front longue de plus de mille kilomètres, l’Ukraine mise de plus en plus sur son industrie de défense nationale. Révélée mi-décembre par un reportage de la BBC, la production du missile de croisière ukrainien Flamingo illustre un tournant stratégique majeur : celui d’une autonomie militaire assumée, dans un contexte de soutien occidental incertain.



Une industrie sous terre, conçue pour survivre aux frappes

Drawing of FP-5 Flamingo, cropped - Wikimedia Commons
La fabrication du missile Flamingo s’effectue dans des sites ultra-dispersés, volontairement dissimulés, parfois déplacés après chaque frappe russe. Les journalistes de la BBC ont été conduits les yeux bandés jusqu’à l’un de ces ateliers, symbole d’une industrie entrée dans une logique de clandestinité permanente. Deux usines du groupe Fire Point ont déjà été détruites par des frappes russes, confirmant que la base industrielle de défense ukrainienne est devenue une cible stratégique à part entière.
Ce missile de croisière à longue portée, capable d’atteindre jusqu’à 3 000 kilomètres, s’inscrit dans une catégorie d’armements que les alliés occidentaux ont longtemps refusé de fournir. Comparable par ses performances au Tomahawk américain, le Flamingo marque une rupture : l’Ukraine ne dépend plus exclusivement des arsenaux étrangers pour ses capacités de frappe en profondeur.

La frappe longue portée comme levier économique et stratégique

Selon le général Oleksandr Syrskyi, les frappes ukrainiennes à longue distance auraient coûté plus de 21,5 milliards de dollars à l’économie russe sur l’année écoulée. Raffineries, dépôts de munitions, usines d’armement : la stratégie vise désormais à frapper le cœur de l’économie de guerre russe plutôt qu’à rechercher une percée frontale.
Cette doctrine s’appuie sur une montée en puissance rapide des capacités nationales. Le président Volodymyr Zelensky affirme que plus de 50 % des armes utilisées sur le front sont désormais produites en Ukraine, et que la quasi-totalité des systèmes de frappe longue portée est d’origine nationale. Un basculement industriel inédit depuis l’indépendance du pays, rendu nécessaire par la réduction progressive de l’aide militaire américaine depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Autonomie industrielle et défi politique européen

Fire Point, entreprise fondée après l’invasion russe de 2022, produit aujourd’hui environ 200 drones par jour, dont certains assureraient près de 60 % des frappes ukrainiennes en profondeur. Chaque drone coûterait environ 50 000 dollars, soit un tiers du coût d’un drone Shahed russe. L’entreprise revendique un choix stratégique clair : exclure les composants chinois et américains, afin d’éviter toute dépendance politique ou technologique.
Cette logique fait écho à plusieurs analyses publiées récemment sur Enderi, notamment sur la réorganisation accélérée des industries de défense européennes et sur la fragilisation du lien transatlantique. L’Ukraine apparaît ainsi comme un laboratoire brutal de la guerre industrielle du XXIᵉ siècle, où la résilience productive devient aussi décisive que la manœuvre militaire.
 
En révélant l’existence et la montée en puissance du missile Flamingo, l’Ukraine envoie un message clair à ses alliés comme à ses adversaires : la survie stratégique passe désormais par l’autonomie industrielle. Dans un contexte de désengagement américain partiel et d’Europe encore hésitante, Kyiv démontre qu’une nation sous pression peut, contrainte par la guerre, réinventer en urgence sa base de défense. Une leçon que plusieurs capitales européennes observent désormais avec attention.

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