Kramatorsk, la voie coupée : quand la guerre s'attaque aux symboles de la résilience ukrainienne



Publié par La Rédaction le 6 Novembre 2025

La suspension des trains vers Kramatorsk, au cœur du Donbas, marque bien plus qu'une rupture logistique. C'est un symbole qui vacille, celui d'une Ukraine cherchant à maintenir le lien entre ses territoires malgré la guerre. En ciblant les voies ferrées, Moscou frappe la mobilité, la cohésion et la psychologie d'un pays en résistance.



Crédit : Pixabay
Pendant deux ans et demi, les trains à destination de Kramatorsk ont représenté bien plus qu'un simple moyen de transport. Chaque wagon qui franchissait la frontière du Donbas incarnait la ténacité d'un peuple refusant la rupture avec son propre territoire. Ces trains, qui reliaient Kyiv et Lviv à l'est meurtri, transportaient des civils, des volontaires, des soignants, des journalistes, des militaires parfois – tout un échantillon de la société ukrainienne résolue à ne pas céder à la désintégration.

Mais cette semaine, la société ferroviaire Ukrzaliznytsia a annoncé la suspension de la ligne vers Kramatorsk et Sloviansk, invoquant des « raisons de sécurité ». Les attaques russes sur les infrastructures ferroviaires se sont multipliées depuis octobre : frappes de drones sur les caténaires, bombardements ciblés sur les gares, sabotage des voies secondaires. Désormais, les trains s'arrêtent à Barvinkove, plus à l'ouest, laissant les derniers kilomètres du Donbas aux véhicules militaires et aux convois humanitaires.

Pour les Ukrainiens, cette coupure est une blessure symbolique. Kramatorsk n'est pas une ville ordinaire : elle fut le siège administratif du Donbas ukrainien après la chute de Donetsk en 2014, puis le théâtre du massacre du 8 avril 2022, lorsqu'un missile russe s'abattit sur la gare bondée de civils fuyant les combats, faisant plus de 60 morts. Reprendre le train pour Kramatorsk, c'était refuser la peur. C'était dire : nous tenons encore.

Aujourd'hui, la suspension de cette ligne signe une étape stratégique de la guerre : la Russie ne se contente plus de frapper les positions militaires, elle désarticule les flux, les réseaux, la continuité du pays. Selon Business Insider et Financial Times, le Kremlin a intensifié depuis la mi-octobre les frappes de drones explosifs sur le réseau ferré ukrainien, considérant les trains comme des cibles à double usage : militaires et psychologiques. En s'en prenant aux rails, Moscou isole les villes, ralentit les renforts et étouffe la logistique civile.

La guerre moderne n'est plus seulement une guerre de lignes de front, mais une guerre d'infrastructures. Les rails, les ponts, les réseaux électriques, les stations de pompage deviennent des champs de bataille invisibles, dont la conquête se joue à distance, par missiles ou par sabotage. Dans ce combat technologique et énergétique, les Ukrainiens doivent repenser leurs voies d'accès à l'est : routes secondaires, drones logistiques, corridors de fortune.

Mais la fermeture du tronçon vers Kramatorsk n'est pas seulement un revers opérationnel. Elle révèle aussi l'extraordinaire résilience ferroviaire de l'Ukraine. Depuis le début de la guerre, Ukrzaliznytsia est devenue une véritable armée civile : elle évacue les blessés, transporte les armes, ravitaille les zones coupées, maintient un semblant d'unité nationale sur des rails constamment bombardés. Chaque train est une victoire quotidienne sur la désintégration.

Le Donbas, désormais plus difficile d'accès, devient le symbole d'une Ukraine qui se replie sans se rendre. Les rails brisés de Kramatorsk rappellent que la guerre, avant d'être un affrontement territorial, est un combat contre la fragmentation. Et tant qu'il restera une voie, un train, un conducteur prêt à relier l'est au reste du pays, la résistance continuera de circuler.

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