Intervention française au Mali : quels risques pour quelle finalité ?



Publié par Pierre-Marie Meunier le 12 Janvier 2013

La France vient de décider de soutenir militairement le Mali pour repousser les assauts conjugués des trois colonnes djihadistes : Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement pour l'unification du djihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) et Ansar Dine, milices islamistes Touaregs. Et contrairement à ce que l’on supposait jusque là, les forces armées françaises se retrouvent en première ligne de combats au cours desquels un pilote de Gazelle du 4ème RHFS de Pau a déjà perdu la vie.



Le relief sahélien (ici entre le Niger et le Tchad) ne facilitera pas la traque des milices islamistes
Paris a répondu favorablement à une demande urgente du gouvernement malien, en proie aux plus grandes difficultés sur le terrain, depuis la reprise de l’offensive vers le Sud de ces milices. La légalité de cette intervention n’est pas sujette à discussion, puisqu’elle rentre de plein droit dans la résolution 2085 du Conseil de Sécurité de l’ONU. De plus, la France est priée d’intervenir par une nation souveraine, avec laquelle nous avons des accords de défense et de sécurité renforcés depuis 2009.

Cette intervention est-elle pour autant légitime ? Notre classe politique semble le penser, une telle unanimité des soutiens ne s’est pas vue souvent. A leur côté nous pouvons répondre que oui, sans aucun doute, cette intervention est légitime. La France dispose au Sahel de véritables ennemis, qui s’en prennent nommément à la France, à ses ressortissants et à ses intérêts. Ce n’était pas le cas des lointaines vallées afghanes et des Talibans que nos forces ont affrontés là-bas, même si ce combat avait aussi sa légitimité (au moins celle du respect de nos engagements internationaux). Pour mémoire, rappelons qu’AQMI trouve son origine dans le GSPC, Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, lui-même issu du GIA algérien (Groupe Islamique Armé), composé essentiellement d’anciens du Front Islamique du Salut, ce dernier étant à l’origine de la vague d’attentats de 1995 en France. Malgré tous les cris des tenants d’un pacifisme béat, un constat demeure : la France a encore des ennemis. Certes, ils ne sont plus à nos frontières, mais cela ne les empêche pas de pouvoir agir au cœur de Paris : ils en ont déjà fait la démonstration.

Plus peut-être que l’intervention libyenne, dont on peine encore à appréhender toutes les conséquences, l’opération Serval sera le prélude des véritables combats que la France va devoir mener pour la défense de ses intérêts vitaux. Même s’il est déplacé ou discutable de parler de guerre « juste », nos forces combattent actuellement en ennemi qui veut faire du Sahel un sanctuaire du terrorisme sans frontières. Et il est plus que probable, si cela arrivait, qu’une partie des actions terroristes prévues serait à destination de la France. Notre Président a raison de dire que « le prix de l’inaction serait trop élevé ». Mais il est à craindre que cela ne reste pas sans effet auprès d’éléments radicalisés déjà présents sur notre territoire. L’occasion va peut-être nous être donnée de connaitre, une fois encore, la résilience française sur la question du terrorisme.

Mais d’autres questions restent pour l’instant sans véritable réponse : quel est le potentiel de l’ennemi ? Le Sahel est familier des déploiements de pick-up hérissés de roquettes pour RPG-7 et d’armes en tout genre, essentiellement soviétiques. La nouveauté provient du conflit libyen : quelle sont les armes tombées aux mains des Djihadistes ? En particulier disposent-ils de MANPADS, des missiles sol-air portables ? En supposant qu’ils se soient formés à leur usage, cela pourrait influer sur le déroulement de l’opération en cours. Malgré l’utilisation d’un dispositif militaire en place depuis plusieurs années dans la région (forces prépositionnées et forces déployées dans le cadre de la surveillance de la zone sahélienne, en réaction aux rapts d’otages français), les forces armées françaises semblent disposer pour l’instant de peu d’informations sur l’ennemi qu’elles affrontent.

Les contraintes tactiques inévitables ne doivent pas nous priver pour autant d’une interrogation tout aussi légitime sur les buts de la guerre. Il est de la responsabilité du pouvoir politique de définir ce que seront les objectifs du conflit, ce que doit être « l’état final recherché ». C’est à partir de cet état final recherché que les états-majors établiront leur stratégie, qu’ils déclineront en ligne d’opérations. On ne bâtit pas une stratégie militaire sur du vent. Doit-on viser l’attrition du potentiel militaire ennemi ? Cela sera probablement rapide, car le combat actuel ressemble à l’offensive rebelle de 2008 au Tchad, lorsque des colonnes de centaines de pick-up sont arrivées aux portes de la capitale N’Djamena. L’aéroport, sécurisé par les Français, a permis la pleine expression de l’outil aérien tchadien. Il est peu probable qu’une telle opération soit à nouveau montée par la rébellion tchadienne avant des années.

L’outil militaire des milices islamistes, sauf surprise, va probablement partir en chaleur et lumière aux premiers contacts avec la force multinationale. Car il s’agira là d’un combat conventionnel, avec une forte dissymétrie en notre faveur. Faut-il avoir pour but l’attrition des combattants djihadistes ? Il est malheureusement à craindre que le réservoir ne soit inépuisable, et que la campagne actuelle ne bascule vers un conflit insurrectionnel de faible intensité. Doit-on aller jusqu’à la « libération » de tout le territoire malien ? Il n’est pas évident que les villes et tribus du Nord du pays, depuis longtemps sous influence islamiste, partagent notre vision de la libération. Le risque est à nouveau celui d’une guerre contre-insurrectionnelle de faible intensité, se réduisant à du contrôle de zone sommaire, dans une zone par nature ingérable par nos effectifs actuels. On ne peut décemment pas envisager aujourd’hui la reconquête pure et simple du Nord-Mali. Pour autant, c’est une zone sur laquelle il faudra garder un certain contrôle, compte tenu des divers trafics dont cette zone est la base arrière.

Le plus raisonnable est probablement de nous arrêter à la destruction du potentiel militaire des milices islamistes, et de soutenir ensuite massivement les forces armées de l’Union Africaine en général et du Mali en particulier, dans leur reconquête progressive du Nord du pays. Cela passera nécessairement par un appui logistique, un appui renseignement, et éventuellement un appui aérien, puisqu’il s’agit manifestement de l’arme de décision. Mais il faudra des troupes pour occuper le terrain reconquis. On imagine mal la France renouée avec les postes isolés et les troupes sahariennes. Par contre l’appui renseignement aux opérations, et l’inévitable soutien américain en la matière, va reposer avec une acuité certaine la question des drones MALE et HALE pour la France. De quoi en tout cas nous faire regretter le retrait des Mirage F1CR.

Dans la même rubrique :