Industrie de la défense : le salut viendra des exportations



Publié par Charles-Henri Baudouin le 28 Février 2023

Fleuron de l’économie française, la Base industrielle et technologique de défense (BITD) ne peut pas se reposer sur quelques lauriers comme le succès du Rafale et ses contrats records en 2021. Le dernier rapport de la Cour des comptes le souligne : toute la filière doit être soutenue par l’État français, à commencer par les entreprises fabricant des armements terrestres destinés à l’export.



Le succès du Caesar à l'export ne doit pas faire oublier que l'industrie française de l'armement terrestre est à la peine en la matière. Photo Ministère ukrainien de la défense.
La France ne tiendrait-elle que trois ou quatre jours en cas de conflit de haute intensité, comme le titraient les médias il y a un an, au début de la guerre en Ukraine ? Peut-être pas – d’autres estimations tournent autour de quinze jours –, mais cela n’a pas empêcher Christian Cambon, le président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Armées du Sénat, de tirer la sonnette d’alarme : « Je ne force pas le trait, je pense même que mes informations sont encore optimistes par rapport à la réalité sur un certain nombre de points. Le point le plus flagrant, ce sont les munitions. » Ce problème de munitions n’est en fait que la partie émergée de l’iceberg. Car avec le retour de la guerre en Europe, la souveraineté et l’indépendance industrielle sont redevenues affaires très sérieuses.
 
Menaces sur la BITD française
 
Selon les députés Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot, coauteurs en 2022 d’un rapport d’information sur « la préparation à la haute intensité », les entreprises du secteur de la défense font face à des menaces de plus en plus aiguës. Parmi elles, la perte de marchés extérieurs, synonyme de carnet de commandes vides, est la plus importante car elle se concrétise par une perte durable de compétences : « Pour l’éviter, ces entreprises, dont l’État est le plus souvent actionnaire, veillent à maintenir une activité minimale sur les chaînes essentielles, grâce aux commandes publiques ou à l’export. Comme l’ont rappelé des officiers de l’armée de l’Air et de l’espace, “on a frôlé l’arrêt de la production de l’armement sol-air modulable (A2SM) à la suite de l’annulation des commandes de l’Arabie saoudite. Safran a été sauvé par le contrat égyptien”. L’export permet ainsi à la puissance publique de développer ou de maintenir les compétences de la BITD à moindre coût pour le contribuable. L’export finance aussi l’innovation. Une concurrence internationale débridée peut dès lors fragiliser l’ensemble de la BITD, ce qui explique la réaction ferme de Paris, manifestée par le rappel de l’ambassadeur de France à Washington, après l’annonce du partenariat AUKUS. » Le député Thomas Gassilloud, président de la Commission de la défense nationale et des forces armées, aura certainement relayé en haut lieu la quintessence de ce rapport : la BITD doit adapter son outil industriel à la nouvelle donne internationale et marquer des points en exportant.
 
Si l’affaire des sous-marins australiens reste dans toutes les mémoires – tant à l’Élysée, à Matignon qu’au ministère des Armées –, le nerf de la guerre pour la BITD française ne se situe ni en mer ni dans les airs, mais sur terre. Dans le secteur des équipements terrestres, la France a encore de magnifiques cartes à jouer grâce aux exportations. Mais remporter la partie face à la concurrence nécessitera une forte implication des pouvoirs publics français. Et là, des questions se posent.
 
Le Caesar, le canon qui cache la forêt
 
Le conflit ukrainien étale sur tous les écrans du monde le retour à la guerre conventionnelle, celle des bombardements, des tanks en rase campagne, des soldats gelés dans les tranchées. On croyait l’infanterie passée de mode, elle est redevenue essentielle sur le terrain. Et ses équipements aussi, par la même occasion. Pour cela, la consolidation de la filière de l’armement terrestre – pour nos besoins propres mais aussi pour les besoins des États clients de la France – doit redevenir une priorité pour les pouvoirs publics. Et la clé de la réussite, ce sont les exportations, qui garantissent les commandes et une visibilité financière, et qui assurent la pérennité des entreprises, et donc des emplois directs concernés. Sans compter la myriade de sous-traitants de l’industrie de la défense.
 
Encore une fois, il faut se méfier des effets d’annonce dans les médias. Certes, la BITD terrestre a connu quelques succès notables, comme celui du canon automoteur Caesar de 155mm, dont l’actualité est friande. En janvier dernier, le Danemark avait ainsi annoncé la livraison de ses 19 unités   – qu’il avait commandées à la France – en faveur de l’armée ukrainienne qui en a désespérément besoin. Dans ce domaine, le savoir-faire français est connu de tous. La cadence de production de ces machines a d’ailleurs été revue à la hausse, à hauteur de six exemplaires par mois, à la demande du ministre des Armées Sébastien Lecornu, et 12 Caesar de plus devraient bientôt prendre le chemin de l’Ukraine.
 
Les exportations, la boussole de l’industrie
 
La guerre en Ukraine – qui devait être une affaire pliée en quelques jours selon le Kremlin – est partie pour durer, et pourrait reprendre de plus belle au printemps. Loin d’être un épiphénomène, le retour de la guerre conventionnelle met en exergue, partout sur la planète, les besoins qu’ont les États de réévaluer leurs équipements et leurs stocks. Si le ministre des Armées et son homologue de l’Industrie Roland Lescure se sont retroussé les manches en faveur du canon Caesar, ils auraient tout intérêt à en faire de même avec d’autres produits sortis des usines françaises. À côté des engins du programme Scorpion, « milieu de spectre » en termes de combat « haute intensité », qui connaissent un succès limité à l’export avec le programme Camo en Belgique, la gamme lourde est un parent pauvre. Après son succès dans le Golfe Persique, le char Leclerc n’intéresse aujourd’hui plus grand monde, faute d’une mise à niveau significative par rapport à la concurrence. Et le VBCI (véhicule blindé de combat d’infanterie) fabriqué par Nexter Systems, n’est guère en meilleure posture. Pourtant, l’engin a largement fait ses preuves sur des théâtres d’opération comme le Sahel et l’Afghanistan, par sa fiabilité et ses performances opérationnelles. Sa nouvelle version, le VBCI-2, équipée de la tourelle CTA40 dernier cri, pourrait trouver une place de choix sur le catalogue tricolore à l’export à l’heure où, par exemple, le Qatar est en train d’étudier plusieurs offres. Mais face aux hésitations de l’émirat et aux velléités allemandes de nous rafler le marché, il serait judicieux que les plus hauts échelons politiques aillent rapidement porter la bonne parole jusqu'à Doha, comme savait très bien le faire naguère un Jean-Yves le Drian.
 
La bonne nouvelle dans tout cela, c’est que ces contrats sont toujours honorés et participent pleinement au commerce extérieur français. Selon le nouveau rapport de la Cour des comptes paru en janvier et intitulé Le soutien aux exportations de matériel militaire, les clients de la France payent tous rubis sur l’ongle. Même l’Égypte, qui souffre pourtant d’une mauvaise réputation en la matière. Selon la Cour des comptes, « une grande partie des exportations d’armements pour le compte de l'État (risques crédit et/ou d'interruption de contrat) a été au cours de la période 2010-2021, constamment bénéficiaire et les primes versées ont dépassé le montant des indemnités. »
 
Cependant, dans leur conclusion, les rapporteurs de la Cour des comptes n’hésitent pas non plus à attirer l’attention des décideurs politiques : « Ces bons résultats militaires, industriels, technologiques et commerciaux pourraient cependant encore être améliorés ; d’une part, en faisant bénéficier les secteurs voisins et stratégiques des biens à double usage et de la sécurité des grandes orientations et des outils de la politique d’exportation d’armement et, d’autre part, en approfondissant l’effort fait pour appuyer à l’export les entreprises de taille plus modeste de ces secteurs. » En somme, pour les finances publiques comme pour les grandes entreprises et les PME du secteur, le soutien sans faille aux exportations doit désormais servir de boussole à l’engagement du monde politique.
 

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