Un corridor énergétique vers le Darfour
A Sudanese police fighter in Darfur - Wikimedia Commons
Selon The Sentry, les forces de Haftar sont devenues, depuis le déclenchement de la guerre civile soudanaise en avril 2023, un « fournisseur clé de carburant » des FSR. Le dispositif repose sur un axe logistique qui passe par le sud-est libyen, autour de Kufra, où Saddam Haftar – plus jeune fils du maréchal et chef des Forces armées arabes libyennes (LAAF) – supervise personnellement les opérations depuis le printemps 2023. Les hommes de Haftar renforcent alors leur présence en hommes et en matériel pour garantir des « expéditions ininterrompues » de carburant et de marchandises vers le Darfour, tout en coordonnant ponctuellement des transferts d’armes et de munitions.
Sur le théâtre soudanais, ce carburant bon marché est un multiplicateur de puissance. Il alimente les pick-up armés et les colonnes de la FSR qui ont conquis, fin octobre 2025, la ville d’el-Fasher, dernier grand centre urbain du Darfour encore tenu par l’armée, au prix d’accusations récurrentes de massacres et de violences sexuelles massives contre les civils. Dans la continuité de ce que documentaient déjà les enquêtes de l’ONU et de nombreuses ONG sur le rôle des Émirats arabes unis – fourniture de drones, d’artillerie et soutien financier aux FSR –, la contrebande de carburant libyen apparaît désormais comme un maillon supplémentaire d’un dispositif de guerre par procuration assumé, malgré les dénégations répétées d’Abu Dhabi.
Sur le théâtre soudanais, ce carburant bon marché est un multiplicateur de puissance. Il alimente les pick-up armés et les colonnes de la FSR qui ont conquis, fin octobre 2025, la ville d’el-Fasher, dernier grand centre urbain du Darfour encore tenu par l’armée, au prix d’accusations récurrentes de massacres et de violences sexuelles massives contre les civils. Dans la continuité de ce que documentaient déjà les enquêtes de l’ONU et de nombreuses ONG sur le rôle des Émirats arabes unis – fourniture de drones, d’artillerie et soutien financier aux FSR –, la contrebande de carburant libyen apparaît désormais comme un maillon supplémentaire d’un dispositif de guerre par procuration assumé, malgré les dénégations répétées d’Abu Dhabi.
Une contrebande du carburant qui saigne la Libye
Pour la Libye, ce flux clandestin n’est pas un simple « dommage collatéral » de la guerre soudanaise : il est au cœur d’un système de prédation qui siphonne la rente pétrolière. Il évalue à environ 20 milliards de dollars les pertes liées à la contrebande de carburant entre 2022 et 2024, dont 6,7 milliards de dollars pour la seule année 2024 – l’équivalent de plus que tripler les budgets combinés de la santé et de l’éducation.
En 2021, la compagnie nationale pétrolière Libyenne -National Oil Corporation (NOC) bascule vers un mécanisme opaque de troc pétrole brut contre carburant raffiné, en dehors des circuits budgétaires. Les importations quotidiennes passent d’environ 20,4 millions de litres début 2021 à plus de 41 millions fin 2024, sans augmentation équivalente de la demande intérieure. Plus de la moitié de ces volumes est ensuite détournée par des réseaux criminels pour être revendue au Sahel, en Méditerranée et jusque vers le Soudan.
Dans un pays où l’essence reste massivement subventionnée, cette fuite en avant aggrave pénuries, inflation et dépréciation monétaire. Le système de subventions, mis en place dans les années 1970 pour vendre le carburant quelques centimes de dollar le litre, est désormais instrumentalisé pour acheter des fidélités armées et financer des clientèles politiques, tant à Tripoli qu’à Benghazi. Les Libyens font la queue aux stations-service tandis que leur carburant alimente, à des milliers de kilomètres, une guerre génocidaire au Darfour.
En 2021, la compagnie nationale pétrolière Libyenne -National Oil Corporation (NOC) bascule vers un mécanisme opaque de troc pétrole brut contre carburant raffiné, en dehors des circuits budgétaires. Les importations quotidiennes passent d’environ 20,4 millions de litres début 2021 à plus de 41 millions fin 2024, sans augmentation équivalente de la demande intérieure. Plus de la moitié de ces volumes est ensuite détournée par des réseaux criminels pour être revendue au Sahel, en Méditerranée et jusque vers le Soudan.
Dans un pays où l’essence reste massivement subventionnée, cette fuite en avant aggrave pénuries, inflation et dépréciation monétaire. Le système de subventions, mis en place dans les années 1970 pour vendre le carburant quelques centimes de dollar le litre, est désormais instrumentalisé pour acheter des fidélités armées et financer des clientèles politiques, tant à Tripoli qu’à Benghazi. Les Libyens font la queue aux stations-service tandis que leur carburant alimente, à des milliers de kilomètres, une guerre génocidaire au Darfour.
Les Émirats et la géopolitique d’un marché noir régionalisé
L’autre bénéficiaire de cette économie grise est extérieur : les Émirats arabes unis, devenus en une décennie un acteur militaire et financier central de la bande sahélo-saharienne. Déjà mis en cause pour leur soutien matériel aux FSR – livraisons d’armes, de drones, recours à des mercenaires étrangers, exploitations aurifères soudanaises via Dubaï –, les Émirats apparaissent dans les sources onusiennes et américaines comme l’architecte politique du corridor qui relie les réseaux de Haftar au dispositif de guerre de Hemetti.
Le schéma est classique : en échange d’un alignement stratégique et du contrôle de l’est libyen – façade méditerranéenne, bases aériennes, routes vers le Sahel – la famille Haftar fournit un service clé aux alliés du Golfe, en assumant la partie la plus risquée de la chaîne logistique vers le Soudan. Dans le même temps, Moscou profite du même pipeline criminel pour alimenter ses unités en Afrique subsaharienne, qu’il s’agisse de l’ex-groupe Wagner ou de ses avatars.
Comme nous l’écrivions déjà à propos des opérations clandestines russes en Thaïlande ou des guerres par procuration au Moyen-Orient, la bataille ne se joue plus seulement sur les lignes de front, mais aussi dans les flux logistiques : ports secondaires, dépôts de carburant, points de passage désertiques où se négocient, loin des caméras, des équilibres régionaux entiers. Ici, le carburant joue le rôle qu’ont longtemps tenu l’or, les diamants ou les flux de migrants : une monnaie d’échange politique circulant dans un espace où se superposent kleptocraties locales et ambitions de puissances moyennes.
En révélant l’ampleur de cette « économie de guerre du carburant », le rapport de The Sentry illustre, une fois encore, que les embargos onusiens et les condamnations diplomatiques pèsent peu face à des chaînes de valeur clandestines adossées à des États. Pour l’Europe comme pour l’Afrique, suivre les flux de carburant libyen – autant que ceux des armes ou de l’or – devient une condition minimale pour prétendre agir sur la trajectoire de la guerre au Soudan et sur la stabilité de toute la Méditerranée centrale.
Le schéma est classique : en échange d’un alignement stratégique et du contrôle de l’est libyen – façade méditerranéenne, bases aériennes, routes vers le Sahel – la famille Haftar fournit un service clé aux alliés du Golfe, en assumant la partie la plus risquée de la chaîne logistique vers le Soudan. Dans le même temps, Moscou profite du même pipeline criminel pour alimenter ses unités en Afrique subsaharienne, qu’il s’agisse de l’ex-groupe Wagner ou de ses avatars.
Comme nous l’écrivions déjà à propos des opérations clandestines russes en Thaïlande ou des guerres par procuration au Moyen-Orient, la bataille ne se joue plus seulement sur les lignes de front, mais aussi dans les flux logistiques : ports secondaires, dépôts de carburant, points de passage désertiques où se négocient, loin des caméras, des équilibres régionaux entiers. Ici, le carburant joue le rôle qu’ont longtemps tenu l’or, les diamants ou les flux de migrants : une monnaie d’échange politique circulant dans un espace où se superposent kleptocraties locales et ambitions de puissances moyennes.
En révélant l’ampleur de cette « économie de guerre du carburant », le rapport de The Sentry illustre, une fois encore, que les embargos onusiens et les condamnations diplomatiques pèsent peu face à des chaînes de valeur clandestines adossées à des États. Pour l’Europe comme pour l’Afrique, suivre les flux de carburant libyen – autant que ceux des armes ou de l’or – devient une condition minimale pour prétendre agir sur la trajectoire de la guerre au Soudan et sur la stabilité de toute la Méditerranée centrale.