France : quand le renseignement citoyen devient un levier central de la lutte antidrogue



Publié par Paul-Gabriel LANTZ le 17 Décembre 2025

Alors qu’Emmanuel Macron se rend à Marseille ce mardi, épicentre historique du narcotrafic en France, la lutte contre les réseaux criminels s’appuie de plus en plus sur un acteur longtemps sous-estimé : le citoyen. Les déclarations effectuées sur le portail gouvernemental « Ma sécurité » constituent désormais un flux structurant du renseignement opérationnel, pleinement intégré aux dispositifs de l’Office antistupéfiants (Ofast), dirigé depuis février 2025 par Dimitri Zoulas.



Le portail « Ma sécurité », une interface devenue capteur de renseignement

Lancé par le ministère de l’Intérieur pour faciliter le signalement d’événements de sécurité, le portail « Ma sécurité » s’est progressivement imposé comme un outil de recueil massif d’informations à faible seuil, en particulier dans la lutte contre les trafics locaux de stupéfiants. En 2024, près de 16 000 informations issues de citoyens ont été traitées, selon les chiffres communiqués par l’Ofast, alimentant directement les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) déployées dans chaque département.
Ces signalements concernent des faits en apparence mineurs : allées et venues suspectes, points de deal mobiles, stockages temporaires, livraisons, usage de logements éphémères ou de véhicules relais. Pris isolément, ces éléments sont faibles. Recoupés, horodatés et géolocalisés, ils deviennent du renseignement exploitable, capable d’orienter une surveillance, une enquête judiciaire ou une opération de flagrance. Cette logique de capteurs humains diffus s’inscrit dans une approche désormais assumée par les services : le narcotrafic est un phénomène de masse, sa détection doit l’être aussi.

Du signalement à l’action judiciaire : une chaîne désormais rodée

L’intérêt stratégique du portail réside dans son intégration complète à la chaîne opérationnelle. Les informations citoyennes ne sont pas traitées comme des alertes isolées, mais injectées dans un cycle de renseignement structuré, piloté par l’Ofast en lien avec la police judiciaire, la gendarmerie, les douanes et, le cas échéant, les services spécialisés. En 2024, ces signalements ont contribué à plus de 3 000 gardes à vue et près de 1 000 écrous, avec des saisies significatives : 11 tonnes de stupéfiants, plus de 500 armes à feu et près de 14 millions d’euros d’avoirs criminels.
Cette dynamique est particulièrement visible dans la lutte contre les trafics de proximité, où la pression exercée sur les points de deal a entraîné une adaptation constante des réseaux, marquée par la mobilité, la déterritorialisation et l’usage accru du numérique. Face à ces mutations, le renseignement citoyen joue un rôle de contrepoids : il réintroduit de la visibilité dans des espaces que les trafiquants cherchent à rendre opaques, notamment les halls d’immeubles, les parkings, les zones périurbaines ou les locations de courte durée.

Une participation citoyenne au cœur d’une stratégie de reconquête

L’implication croissante des citoyens dans la remontée d’informations traduit une évolution plus profonde de la doctrine de sécurité intérieure. La lutte contre le narcotrafic n’est plus uniquement verticale, portée par des unités spécialisées, mais s’appuie sur une logique de coproduction de la sécurité, assumée politiquement et opérationnellement. Dimitri Zoulas souligne que les violences liées au narcobanditisme, notamment à Marseille, ont nettement reculé depuis trois ans, avec un taux d’élucidation supérieur à 70 %, résultat d’une combinaison entre enquêtes complexes et pression constante sur le terrain.
Dans un contexte de massification des flux de cocaïne, de banalisation de la violence et de stratégies criminelles toujours plus industrialisées, le portail « Ma sécurité » agit comme un multiplicateur de force. Il ne remplace ni l’enquête judiciaire ni le renseignement spécialisé, mais il élargit le spectre de détection, en transformant le quotidien des citoyens en source d’alertes structurées. Cette participation, loin d’être marginale, s’impose désormais comme un pilier discret mais déterminant de la riposte de l’État face à une hydre criminelle dont chaque tête coupée tend à repousser.

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