Eurostar et Alstom : un contrat stratégique qui renforce la souveraineté industrielle européenne dans le ferroviaire



Publié par François Lapierre le 22 Octobre 2025

L’Europe du rail vient de franchir une étape décisive. Le 22 octobre 2025, Eurostar a annoncé la commande de 30 trains à deux étages auprès d’Alstom, assortie d’une option pour 20 rames supplémentaires, pour un montant estimé à 2 milliards d’euros. Derrière cette annonce, au-delà du symbole de modernisation du transport, se joue un enjeu industriel majeur : le renforcement de la souveraineté industrielle européenne face à la concurrence mondiale dans le secteur des trains à grande vitesse.



Une commande européenne au cœur de la stratégie de souveraineté industrielle

En choisissant Alstom pour renouveler sa flotte, Eurostar ne s’est pas contentée d’un achat technologique : elle a fait un choix politique et stratégique. La décision d’attribuer ce contrat à un constructeur européen, plutôt qu’à un concurrent asiatique ou britannique, illustre une volonté claire de maintenir la maîtrise technologique, productive et logistique du ferroviaire à l’intérieur du continent.

« En choisissant l’Avelia Horizon pour renouveler sa flotte, Eurostar confirme sa volonté d’allier performance technologique, efficacité énergétique et confort des passagers », a déclaré Henri Poupart-Lafarge, PDG d’Alstom, dans un communiqué repris par Rail Magazine.

Le contrat mobilisera l’ensemble de la filière industrielle d’Alstom sur plusieurs sites européens :

    La Rochelle pour l’assemblage des caisses ;

    Le Creusot pour les bogies ;

    Charleroi (Belgique) pour les systèmes de traction et signalisation ;

    Villeurbanne pour l’électronique embarquée.

Au total, près de 2 000 emplois directs et indirects seront mobilisés dans la chaîne de production européenne, dont une part significative en France et en Belgique.

Le train comme pilier industriel et géopolitique de l’Europe

Cette commande intervient dans un contexte de recomposition géo-économique du secteur ferroviaire mondial. Face aux géants chinois comme CRRC, ou à la montée en puissance de Hitachi et Siemens Mobility, la décision d’Eurostar de confier sa modernisation à un industriel européen est perçue comme un geste de réaffirmation stratégique.

Le projet s’appuie sur le modèle Avelia Horizon, une plateforme modulaire et économe en énergie, conçue pour les vitesses de 320 km/h et pour répondre aux exigences d’interopérabilité européennes (systèmes TVM-430, ETCS, TBL, ATB et LZB). Les rames seront compatibles avec cinq réseaux nationaux : Royaume-Uni, France, Belgique, Pays-Bas et Allemagne. Eurostar, détenue majoritairement par SNCF Voyageurs, vise avec cette flotte une croissance de 30 % de sa capacité, soit un objectif de 30 millions de passagers par an d’ici 2035.

L’investissement renforce aussi les capacités techniques du Royaume-Uni : le dépôt de Temple Mills International Depot, à Londres, bénéficiera d’une rénovation de 80 millions d’euros, accompagnée de la création de 350 emplois qualifiés, relaye The Guardian. Cette articulation entre sites britanniques et continentaux incarne la nouvelle logique post-Brexit : une souveraineté européenne interconnectée, mais autonome.

Une réponse industrielle européenne à la concurrence mondiale

Cette décision s’inscrit dans une trajectoire plus large de réindustrialisation stratégique. En choisissant un constructeur européen, Eurostar soutient la préservation d’une filière ferroviaire intégrée capable de concevoir, produire et maintenir des trains à haute vitesse sans dépendance externe.

Le modèle Avelia Horizon, en plus de sa performance énergétique (jusqu’à 20 % de consommation d’énergie en moins par passager), a été développé pour réduire de 30 % les coûts de maintenance sur le cycle de vie (Reuters, 22 octobre 2025). Ces gains structurels s’inscrivent dans la logique d’une autonomie technologique compétitive, face à des acteurs non européens subventionnés ou à bas coût.

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