Le retour de la force américaine : Trump réinstalle le hard power comme moteur diplomatique
The Monroe Doctrine must be respected (F. Victor Gillam, 1896)
Depuis plusieurs mois, Donald Trump a replacé la puissance militaire au cœur de sa stratégie internationale, rompant avec les subtilités diplomatiques et les équilibres lénifiants qui avaient prévalu depuis le début du XXIᵉ siècle. En menaçant le régime de Nicolás Maduro d’« attaques par terre » et en mobilisant au large du Venezuela une flotte complète, composée de navires amphibies, d’avions de surveillance et d’unités navales lourdes, il renoue avec une pratique de l’intimidation directe qui rappelle les grandes heures de l’interventionnisme américain. Ce regain de fermeté se double d’avertissements très explicites adressés à Bogotá : si la Colombie laisse se développer des zones de transit pour les cartels ou des foyers hostiles à Washington, elle sera traitée comme un acteur déloyal et pourra faire l’objet de pressions accrues. Dans cette configuration, l’Amérique latine n’est plus un voisinage diplomatique, mais un espace stratégique qu’il faut discipliner. Ce choix, fidèle à la lecture trumpienne du monde, celles des rapports de force, de la démonstration de puissance et du primat militaire, réintroduit dans l’hémisphère une forme de tension permanente où chaque geste des États latino-américains est interprété comme un test de loyauté ou de défiance.
Une doctrine Monroe 2.0 : l’hémisphère occidental redevenu chasse gardée
Ce changement n’est pas conjoncturel : il s’inscrit dans une relecture contemporaine de la doctrine Monroe, que Trump transforme en un instrument de contrôle géopolitique bien plus offensif que sa version originale. Il ne s’agit plus seulement d’empêcher des puissances extérieures d’intervenir sur le continent américain, mais de rappeler aux États de la région qu’ils restent, aux yeux de Washington, placés dans une sphère d’influence exclusive. Le Venezuela, avec ses immenses réserves pétrolières, devient ainsi le symbole d’un espace dont les États-Unis refusent de perdre la maîtrise. La Colombie, partenaire stratégique mais désormais suspectée de faiblesse ou de duplicité, illustre quant à elle la pression exercée sur les gouvernements locaux pour se réaligner totalement sur les intérêts de Washington. Cette doctrine Monroe 2.0 est un mélange de sécurité intérieure (lutte contre les cartels et flux migratoires), de compétition stratégique avec la Chine, et de volonté de restaurer l’autorité américaine sur son environnement immédiat. Trump estime que la décennie précédente a laissé trop de marges aux puissances rivales et aux régimes contestataires ; il considère donc que seul un rétablissement de la domination américaine peut stabiliser durablement la région.
Les risques d’un retour de l’hégémonie : nationalismes, alliances alternatives et instabilité régionale
Ce retour assumé de l’hégémonie américaine comporte cependant des risques considérables. Dans toute l’Amérique latine, les réactions dépassent les clivages politiques : la menace perçue contre la souveraineté nationale ravive des réflexes historiques profondément enracinés. De Petro à Maduro, mais aussi dans des États plus prudents comme le Mexique ou le Brésil, la défiance à l’égard de Washington progresse mécaniquement dès lors que la pression militaire redevient l’outil principal. En ravivant le souvenir des interventions passées, Trump nourrit des nationalismes qui peuvent se muer en fronts anti-américains durables et créer un espace politique favorable à l’influence chinoise ou russe. Loin de garantir la stabilité, cette stratégie pourrait déclencher un cycle d’instabilité prolongée, fragmenter davantage l’hémisphère et contraindre Washington à une présence militaire encore plus coûteuse. En ressuscitant la doctrine Monroe sous sa forme la plus dure, Trump ambitionne de restaurer la puissance américaine ; mais pour l’Amérique latine, cela ressemble surtout au retour d’une tutelle que beaucoup croyaient révolue.