Dombass, vol MH17… La Russie condamnée par la CEDH



Publié par Aurélien Lacroix le 9 Juillet 2025

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), siégeant en Grande Chambre, a rendu ce 9 juillet 2025 un arrêt d’une portée juridique exceptionnelle dans l’affaire Ukraine et Pays-Bas c. Russie (requêtes n°8019/16, 43800/18 et 28525/20). Cette décision marque un tournant jurisprudentiel dans le traitement du droit humanitaire en temps de conflit armé non international, engageant pour la première fois de façon détaillée la responsabilité directe de la Russie dans une série de violations graves et systématiques des droits de l’homme sur le territoire ukrainien occupé.



Trois requêtes jointes, un contentieux interétatique sans précédent

Les requêtes, déposées entre 2016 et 2020 par l’Ukraine et les Pays-Bas, portaient sur : L’ingérence militaire et le soutien armé aux entités séparatistes dans l’est de l’Ukraine (Donetsk et Louhansk). La politique de répression ciblée à l’encontre des civils ukrainiens. La destruction du vol MH17, abattu le 17 juillet 2014. La Cour a décidé de joindre ces trois affaires, soulignant leur complémentarité factuelle et juridique. Elle qualifie l’affaire de « plus vaste contentieux interétatique jamais traité dans l’histoire de la Convention ».

La Grande Chambre établit que la Fédération de Russie exerçait un contrôle effectif sur les zones de Donetsk et Louhansk dès le mois de mai 2014, jusqu’à sa dénonciation de la Convention en septembre 2022. Cette notion, au cœur de la jurisprudence en matière de conflits transfrontaliers, fonde l’ensemble de la responsabilité juridique de l’État russe. "La Russie a exercé un contrôle militaire, politique et administratif direct sur les entités séparatistes et a soutenu, dirigé ou toléré des pratiques systématiques de violations."

Violations établies par la Cour européenne des droits de l’Homme

La CEDH constate une série de violations systématiques, généralisées et flagrantes, notamment :
Article 2 (droit à la vie) : meurtres extrajudiciaires, bombardements indiscriminés, destruction du vol MH17. Article 3 (interdiction de la torture) : détentions arbitraires, mauvais traitements, esclavage forcé. Article 5 (droit à la liberté) : privations de liberté sans procédure régulière. Article 11 (liberté de réunion) : interdiction des manifestations, répression des opposants. Protocole n°1, article 2 : entrave au droit à l’éducation, notamment par la suppression de la langue ukrainienne. Article 13 (droit à un recours effectif) : impossibilité pour les victimes de porter plainte ou d’obtenir justice.

Le cas du vol MH17 : responsabilité directe établie

La Cour affirme explicitement que le système d’armement utilisé pour abattre le MH17 a été introduit depuis la Russie et utilisé depuis une zone sous son contrôle effectif. Elle juge dès lors que la Russie est responsable de la mort des 298 passagers.
La Cour ordonne à la Russie, malgré son retrait du Conseil de l’Europe, de :
Libérer toutes les personnes détenues arbitrairement depuis le 16 septembre 2022. Coopérer à l’établissement d’un mécanisme international de retour des enfants ukrainiens déportés. Mettre un terme à la politique d’assimilation linguistique imposée dans les établissements éducatifs des zones occupées. Ces injonctions s’appuient sur la jurisprudence postérieure à l’expulsion de la Russie, mais visent des faits antérieurs à cette date, sur lesquels la juridiction européenne demeure compétente. Cette décision renforce néanmoins les initiatives en cours visant à établir un tribunal international spécial pour juger les crimes d’agression russes. Elle offre une base probatoire solide, tant pour les enquêtes de la Cour pénale internationale que pour les futures initiatives diplomatiques ou militaires (sanctions, mandats, réparations).
Elle établit surtout un standard inédit de responsabilité interétatique pour guerre hybride, opérations de déstabilisation indirecte et usage de groupes armés non étatiques soutenus par un État tiers.

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