Un théâtre diplomatique calibré
Steve Witkoff et Vladimir Poutine - Wikimédia Commons
Witkoff et Kushner ont été maintenus plusieurs heures dans l’attente, un procédé coutumier destiné à rappeler la hiérarchie du rapport de force. Les conseillers de Poutine, Yuri Ushakov et Kirill Dmitriev, ont décrit la réunion comme « productive » et « substantielle », sans avancer la moindre concession. Ce décalage entre discours et réalité illustre une mécanique éprouvée : laisser croire à un dialogue pour éviter l’escalade des sanctions, tout en accusant l’Europe, absente des pourparlers, de « bloquer la paix ». Dans les heures précédant la rencontre, Poutine avait même averti qu’en cas d’affrontement, « la Russie est prête », rappelant son refus constant d’admettre une quelconque marge de négociation sur le terrain.
Un plan conçu pour gagner du temps
Le « plan Trump », révélé dans une version préliminaire de 28 points, prévoit notamment le gel des lignes de front et l’abandon par Kyiv de toute perspective d’adhésion à l’OTAN. Pour les autorités ukrainiennes, ce texte représente potentiellement « le moment le plus difficile de l’histoire du pays ». Dans les secteurs sud du front, où l’armée russe tente encore de progresser avant toute trêve éventuelle, la perspective d’un gel territorial agit comme une incitation à accélérer les opérations militaires. Même l’annulation de la rencontre initialement prévue entre Witkoff et Volodymyr Zelensky en Europe, à la demande de Moscou, confirme une logique de contrôle total du calendrier diplomatique. L’objectif : maintenir l’illusion d’un processus de paix sans jamais en payer le prix politique ou militaire.
La méthode Gromyko, toujours vivante
Cette stratégie de patience instrumentalisée s’inscrit dans une tradition qui remonte à Andreï Gromyko, l’inflexible ministre des Affaires étrangères soviétique surnommé « Monsieur Niet ». Gromyko considérait l’Occident comme « impatient, divisé et obsédé par les résultats rapides », une faiblesse exploitable par la simple attente. Plus l’autre camp se hâte, plus Moscou resserre ses exigences, au risque de conduire les négociations à l’impasse. Ce schéma, décrit dans de nombreux travaux diplomatiques, reste observable aujourd’hui : tester, retarder, observer, puis profiter des divisions internes américaines et européennes pour imposer ses conditions. En 2025 encore, la temporalité russe demeure une arme.
Derrière l’apparente ouverture affichée lors des échanges avec Witkoff et Kushner, la Russie poursuit une guerre qu’elle juge encore favorable sur le terrain. Refuser sans dire non, négocier sans céder : la méthode reste inchangée. Et pendant que Washington évalue une sortie de crise, Moscou prépare surtout la suite des offensives sur le terrain.