Au sujet de l'armement des islamistes au Mali...



Publié par Pierre-Marie Meunier le 15 Janvier 2013

Intéressons-nous à ce qui demeure pour l’instant relativement flou dans les médias : l’armement des milices du Nord-Mali.



 Comme toute armée en campagne, celles-ci disposent de stocks, de flux logistiques, d’armes d’appui et de soutien. Sa mobilité lui est permise par le recours massif aux pick-up de tous types, des véhicules disposant de bonnes capacités de franchissement en tout-terrain, d’une charge utile de plus d’une tonne, et d’une autonomie quasiment illimitée grâce à l’emport systématique de fûts de carburant. A l’instar de la cavalerie d’antan, l’usage de ce type de véhicules facilite les vastes mouvements de contournements et permet de bénéficier de la surprise tactique. En 2008 au Tchad, deux colonnes de plusieurs centaines de pick-up ont traversé le pays d’Est en Ouest, sur plus de 1000 kilomètres, sans être détectées.

Concernant l’armement individuel des combattants, outre les inusables AK-47 et RPG-7 (avec roquettes PG-7V pour l’immense majorité : 350 mètres de portée pratique et 260 mm d’acier percé à l’impact), on dénombre beaucoup de mitrailleuses moyennes et lourdes : PK/PKM (7,62 x 54 mm, 250 coups/min en pratique, 800 mètres de portée pratique), DShK (12,7 x 108 mm, 600 coups/min au maximum, 1500 mètres de portée pratique) et KPV (14,5 x 114 mm, 600 coups/min au maximum, 2000 mètres de portée pratique). A cette liste à la Prévert s’ajoutent les armements « exotiques » divers que l’on peut trouver sur les théâtres africains : RPK, RPD, SKS Simonov, PPSh 41 & 43, Tokarev, Makarov, MAT-49, MG-42, FN FAL, HK G3, M16…avec les complications logistiques que cela suppose.
L’armement lourd, généralement monté sur le plateau des pick-up, est composé de quelques canons sans recul SPG-9 (utilisant des roquettes de 73 mm de 1300 à 6500 mètres de portée et perçant 400 mm de blindage environ) et d’armes initialement à vocation anti-aérienne :
 
ZPU-1/2/4 composé de 1 à 4 mitrailleuses lourdes KPV en calibre 14,5 x 114 mm, 2000 mètres de portée pratique, 150 coups/min en cadence pratique par tube et 30 mm d’acier percé à l’impact ; ZU 23-2 en calibre 23 x 152 mm, 2500 mètres de portée pratique, 400 coups/min en cadence pratique. Il existe pour ce calibre des obus perforants-incendiaires et des obus explosifs.

 
L’origine de ces armes se trouve dans l’existence d’intenses trafics d’armes depuis des décennies dans cette région peu contrôlée, allant du Sud de la Libye à la Mauritanie. Cet armement s'est ajouté au fil des années à celui que détenaient déjà les diverses bandes armées sévissant dans la région. Mais il a également été renforcé par les prises des guerres des milices dans le Nord du Mali.
Au moins trois bases de l’armée malienne sont actuellement aux mains des milices : les bases de Tombouctou, Gao et Kidal, et les aéroports associés dans ces villes, même si les milices ne disposent pas de forces aériennes ou d’hélicoptères de manœuvre. Il n’est pas possible de savoir pour l’instant quelles armes ont été récupérées sur ces bases. Il est probable que l’armée malienne, au cours de sa retraite, soit partie avec les véhicules et une bonne partie de l’armement. De plus, il est courant dans les pays africains que les armements les plus « prestigieux » soient gardés à proximité de la capitale. On pensera notamment aux missiles SA-7 Grail et SA-3 Goa, qui doivent être déployés près de la capitale (pour autant qu’ils soient opérationnels), aux chars et blindés lourds (quelques T-34, PT-76 et T-54/55 dans l’inventaire malien) et aux véhicules blindés de transports de troupes (cinq RG-31 pour les plus récents, une petite cinquantaine de BRDM-2, BTR-40, 60, et 152 pour les plus anciens).

Il apparait sur certaines vidéos que les milices se seraient emparées d’au moins un BRDM-2 et un BTR-60, pour autant que les vidéos diffusées sur les chaines nationales soient authentiques. Néanmoins ces véhicules ne constituent pas une menace, car leur repérage est aisé sur ce type de terrain, et ils constitueraient des cibles de choix pour des frappes aériennes. Il est par contre probable que les milices aient récupéré des quantités d’armements légers : AK, RPG, pistolets et munitions. Il n’est pas exclu non plus que les maliens aient laissé sur place de l’armement plus conséquents, présents dans leur inventaire :
  37mm M1939, 9000 mètres de portée maximale, 80 coups/min en cadence pratique et 40 mm d’acier percé à l’impact ; 57mm S-60, 12000 mètres de portée maximale, 70 coups/min en cadence pratique et 100 mm d’acier percé à l’impact ; ZPU-4, aux caractéristiques développés plus haut ; Mortiers M43, 600 grammes d’explosif environ pour une portée maximale de 4000 mètres (variable selon les versions et la charge) ; Canons anti-char 85D44 (1200 mètres de portée pratique, 20 coups/min en cadence pratique et 120 mm d’acier percé à l’impact) ou artillerie 122D30 (15000 mètres de portée maximale, 6 à 8 coups/min en cadence pratique et 400 mm d’acier percé à l’impact).
 
Concernant les armements les plus lourds, il est peu probable que les milices les utilisent, quand bien même elles en possèderaient quelques-uns. Outre le fait que l’armée malienne ne possèdent que quelques exemplaires de chaque, il faut avoir été formé à leur usage et disposer de munitions en quantités suffisantes pour obtenir des effets significatifs sur le terrain. Cela semble peu compatible avec la mobilité requise par la tactique du raid, ou Rezzou, pratiquée par les colonnes de pick-up.

L’autre véritable inconnue du conflit réside dans la part de l’armement ex-libyen aux mains des milices. N’en déplaise à quelques bonnes âmes qui se sont fait un devoir de faire parler d’elles à l’occasion de la guerre en Libye, on trouve surtout parmi les conséquences de cette guerre la mise sur le marché noir d’une quantité considérable d’armements modernes.

Selon le SIPRI, la Libye a reçu officiellement entre 1978 et 2010 : 1500 SA-7A/B Grail / Strela 2/2M : MANPADS à guidage IR de 4200 mètres de portée à 2300 mètres d’altitude (détection par le lanceur à 4500 mètres) pour une vitesse maximale de 430 m/sec ; tête militaire HE à fragmentation de 1,2 kg, détonation au contact ; Un nombre inconnu de SA-14 Gremlin / Strela 3 : MANPADS à guidage IR de 4500 mètres de portée à 3000 mètres d’altitude (détection par le lanceur à plus de 4500 mètres) pour une vitesse maximale de 470 m/sec ; tête militaire HE à fragmentation de 1,15 kg, détonation au contact ; 482 SA-24 Grinch / Igla-S : MANPADS à guidage IR de 6000 mètres de portée à 3500 mètres d’altitude (détection par le lanceur à 8000 mètres) pour une vitesse maximale de 570 m/sec ; tête militaire HE à fragmentation de 2,5 kg, détonation au contact ; certains analystes estiment que les Igla-S vendus à la Libye ne peuvent pas par contre être utilisés comme MANPADS étant donné qu’ils ont été vendus pour être installés sur des lanceurs multiples, montés sur véhicules. Néanmoins cela ne serait pas la première fois que des milices africaines détournent des armements de leur usage premier ; 150 missiles anti-char 9M123 / AT-15, missiles supersoniques tout-temps à guidage SACLOS de 6000 mètres de portée ; ce missile, trop encombrant et trop lourd pour être tiré comme missile anti-char portable, est normalement utilisé à partir d’un BMP-3 modifié, le Khrizantema. Il perce plus d’un mètre d’acier même derrière un blindage réactif. Bien que très improbable, on ne peut pas exclure une utilisation « bricolée » à partir de plateformes improvisées ; au moins 500 missiles Milan 3, accompagnés de 100 postes de tir. Le Milan 3 est un missile filoguidé de 2000 mètres de portée (12 secondes environ de temps de vol) résistant au brouillage. Il est équipé d’une charge creuse tandem capable de percer 800 mm de blindage ou 2,50 m de béton.
 
Pour l’instant nous n’avons aucune idée des quantités de ces armements tombées entre les mains des milices qui sévissent au Nord-Mali. Mais compte tenu des moyens financiers de certains groupes, qui trempent dans des trafics divers, y compris la drogue, il est très probable qu’une partie de ces armes soit sur place. On ne peut que spéculer ensuite sur leur état, la capacité des milices à les utiliser (formation et entrainement) et sur leur volonté de s’en servir.

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