Airbus vs Boeing, l’interminable guerre de l’information



Publié par Lucie Trotin le 31 Mars 2020

En 2008, un rapport confidentiel d’Airbus est publié détaillant toutes les failles du Boeing 787, énième épisode d’un feuilleton de concurrence entre les deux géants aéronautiques qui souligne les conflits par l’information que se livre les deux entreprises.



Publié sur le site du spécialiste de l’aéronautique Jon Ostrower, FlightBlogger, ce rapport de 2008 est édifiant : 46 pages durant, le rapport, intitulé « Boeing 787 : Lessons Learnt » détaille, documents, photos, graphiques à l’appui, les failles de production et de distribution du Boeing 787.

Et les problèmes sont nombreux : il y a un surpoids de 4,5 tonnes de l’avion, les livraisons ont été largement retardées, allégations concernant les performances des moteurs General Electric Genx et Rolls-Royce Trent 1000… Si ces problèmes ne sont apparemment pas exceptionnels dans l’industrie aéronautique, leur prolifération interroge sur la viabilité prochaine de cet avion seulement 18 mois après sa sortie d’usine.

Puisque le but du dossier, clairement affiché dans le titre, est de tirer les leçons des failles du 787 pour éviter de les reproduire sur leurs modèles, la leçon principale soulignée par Airbus est la place excessive que prennent les sous-traitants, pas assez contrôlés, pas équipés pour faire face à la demande et aux délais imposés par Boeing, avec des techniciens aux formations peu adéquates.

Mais des interrogations subsistent, d’abord quant à l’origine et aux raisons de sa divulgation, mais surtout sur la manière dont ont été acquises avec une telle précision ces informations : comment ont-ils eu accès à des informations aussi sensibles et confidentielles ?

En effet, la limite entre intelligence économique, c’est-à-dire l'acquisition d’informations grâce à exploitation légales de sources ouvertes, et l’espionnage industriel est ténue. Et, dans ce cas, il est difficile de démêler le vrai du faux dans la manière dont ils ont pu construire ce rapport. D’un côté, le rapport semble être anormalement complet, les faits étayés par des graphiques, des tableaux, des photos des étapes de construction de l’avion, des schémas industriels, mais de l’autre, rien n’indique que ces informations aient été acquises de manière illégale. 

Airbus a ainsi bien confirmé que ce rapport, qui n’était d’ailleurs pas censé être publié, a été établi grâce à des informations publiques « issues de sites internet, présentations, discours, présentations publiques ». D’après l’avionneur, "Ce sont des pratiques habituelles dans le business, tous nos concurrents font pareils". Pourtant, d’après même le bloggeur qui a divulgué le dossier, il est probable qu’Airbus ait capitalisé sur une fuite d’informations interne.
 
En lisant avec attention ce rapport, on remarque en effet le travail considérable, caractéristique de l’intelligence économique qui a été mis en place. D’abord, on peut retrouver certaines de ces preuves nous-même, sur internet, dans des dossiers, dans des reportages, des discours… Puis, les conclusions qui sont tirés sont le reflet d’un recoupement efficace d’informations, entre les preuves qu’ils ont recueillis et des documents officiels auxquels ils ont de toute évidence accès : les règles de la FAA (Special conditions p.17).

Au vu des très faibles réactions de Boeing, il semblerait qu’Airbus ait bien agi selon les règles, en évitant de franchir la limite de l’espionnage industriel. Quelle que soit la vérité derrière l’origine de telles informations, une chose est sûre : dans cette industrie ultra-compétitive, chaque entreprise doit toujours avoir une parfaite vision du marché et de ses concurrents pour pouvoir s’adapter aux changements. L’intelligence économique joue dans cette optique un rôle primordial : elle pose la question du management stratégique de l’information et a offert aux entreprises une vision novatrice des rapports de force qui s’exercent dans le domaine économique.

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