Aéroport de Gatwick, bienvenue dans le nouveau monde



Publié par Alexandre Perrault le 10 Aout 2018

Neuf ans après sa privatisation, l’aéroport de Gatwick – qui dessert Londres au même titre que Heathrow – jouit d’une croissance remarquable et se veut à la pointe des nouvelles technologies. Chronique d’une mue réussie.



La vie est belle à Gatwick. Le deuxième aéroport londonien – au sud-est de la capitale britannique – a le vent en poupe. En avril dernier, 3,7 millions de passagers ont atterri ou transité par ses deux terminaux, établissant de nouveaux records. Les deux indicateurs principaux feraient même pâlir d’envie la concurrence : +21% sur les vols long-courriers, +23,2% en volume pour le fret aérien. Et les mois à venir s’annoncent eux aussi positifs, avec la reprise en mai du trafic venant de Doha, Qatar Airways ayant annoncé son retour à Gatwick avec tambours et trompettes. « Ce nouveau contrat va renforcer le réseau des vols long-courriers à partir – et à destination – de Gatwick vers l’Asie et l’Océanie, souligne Stewart Wingate, directeur opérationnel de l’aéroport de Gatwick. Nous disposons dorénavant de 60 vols long-courriers, et nous espérons en attirer d’autres dans les mois qui viennent, et également étoffer des liaisons déjà existantes comme avec Air China, en ajoutant trois vols supplémentaires par semaine. »
 
Pour répondre à son perpétuel essor, la direction de l’aéroport a même lancé en mai dernier une grande campagne d’embauche, avec 1200 nouveaux postes à pourvoir. Des postes dans des branches très diverses : 800 pour les commerces et les restaurants, 400 pour les agents au sol travaillant auprès des compagnies aériennes. « Tout cela a un impact très positif sur la région de Gatwick en termes de créations d’emplois, se félicite Rachel Bulford, directrice des commerces de proximité au sein de l’aéroport. Ces nouveaux employés nous permettront de fournir les meilleurs services aux voyageurs, toujours plus nombreux. » Des services que la direction de l’aéroport développe sans cesse, à la fois pour le trafic de voyageurs et pour le fret aérien. « Nous sommes très satisfaits de travailler avec Gatwick sur notre stratégie de recrutement, explique Spencer Conday, vice-président Aviation et Secteur voyages chez le transporteur rapide DHL. En combinant nos efforts, nous espérons attirer les meilleurs profils, en leur proposant des perspectives de carrière intéressantes. » Mais la réussite d’un aéroport ne se mesure pas qu’à travers des chiffres, elle se jauge également à l’aune de l’expérience-client. Et force est de constater que les investissements réalisés depuis 2009 sont allés dans la bonne direction.
 
Pourtant, à la fin des années 2000, l’aéroport de Gatwick faisait peine à voir. Dix ans après sa privatisation, Gatwick se propose en exemple de réussite à l’heure où d’autres aéroports européens majeurs, dont les aéroports parisiens gérés par le groupe Aéroports de Paris (ADP), vont être privatisés.
 
Flashback : années 2000, rien ne va plus
 
Pourtant, tout n’était pas joué d’avance pour Gatwick, les promoteurs de la privatisation à la fin des années 2000 ont dû vaincre des réticences tenaces outre-Manche. En fait, des projets de privatisation des aéroports londoniens, propriétés de BAA (British Airports Authority), étaient sur la table depuis les années 80, sous Margaret Thatcher. Dans leur rapport intitulé Privatising London’s Airports daté de 1985, David Starkie et David Thompson font un état des lieux très complet de la situation des trois structures aéroportuaires de Londres (Heathrow, Gatwick, Stansted). « BAA affirme que scinder la gestion des aéroports présentera de nombreux désavantages. Au contraire, la gestion des aéroports sera renforcée grâce à une structure privatisée, plus compétitive, écrivent les deux experts en 1985. Une fois que l’entreprise aura ajusté son nouveau mode de gouvernance, le gouvernement britannique sera délesté de certaines décisions. Et surtout, il n’y aura aucun problème pour de futurs investissements. » En 1986, BAA est partiellement privatisé par le gouvernement Thatcher. Vingt ans plus tard, en 2006, le groupe sera vendu à l’opérateur espagnol Ferrovial, et changera de nom en Heathrow Airport Holdings (HAH). Poussé par des impératifs économiques et le remboursement d’une dette héritée de BAA, Ferrovial décide de céder plusieurs de ses participations. En 2009, BAA/HAH vend donc Gatwick à GIP (Global Infrastructure Partners), dont le plan de modernisation séduit. Michael McGhee, l’un des partenaires de GIP, se montre alors volontariste : « Nous allons moderniser Gatwick afin de transformer l’expérience des passagers, qu’ils soient professionnels ou vacanciers. Pour cela, nous allons travailler en étroite collaboration avec les compagnies aériennes. » A l’époque, la gestion de l’aéroport par l’Etat est en effet mise en cause par tous les acteurs, à commencer par les compagnies aériennes elles-mêmes. RyanAir par exemple s’est félicitée de la reprise de Gatwick par un opérateur privé : « Cette vente est le premier pas pour casser le monopole de BAA sur la gestion aéroportuaire. Cela va naturellement apporter un esprit de concurrence qui ne fera qu’améliorer le service client. » Les investissements consentis depuis cette reprise ont aujourd’hui porté leurs fruits.
 
L’aéroport version 3.0
 
Dix ans plus tard, ces investissements font même la une des journaux et des magazines spécialisés. En mai dernier exemple, l’application pour smartphone de Gatwick a remporté le Prix de l’innovation de l’année aux Oscars britanniques consacrés aux applications mobiles. En service depuis le début de l’année, cette application s’appuie sur des 2000 balises virtuelles et sur une technologie de réalité augmentée, au sein des deux terminaux de l’aéroport. Sur son smartphone, l’utilisateur reçoit en temps réel quantité d’informations qui l’aident dans son parcours de manière ludique et pratique, comme les mises à jour des horaires, le trajet fléché jusqu’à la porte d’embarquement, la durée d’attente aux postes de contrôle… Cette même application se couple avec le système de stockage d’informations en ligne FIDS (Flight Information System). Cette première mondiale a été elle aussi primée, avec le Cloud Project of the Year à la cérémonie des Real IT. Cette innovation basée sur la reconnaissance faciale permet des interactions plus directes avec les voyageurs, pour faciliter et rendre plus rapide leur passage dans l’aéroport. « Nous sommes en train de transformer en profondeur la manière de véhiculer l’information au sein d’un aéroport, a souligné Cathal Corcoran, directeur de l’information de Gatwick, lors de la remise des prix. Les passagers pourront se connecter très prochainement à des robots de discussion intelligents, via Facebook Messenger et Skype. » Car au-delà de l’expérience client, c’est la spécificité de l’expérience voyageur qui prime.
 
La direction de Gatwick a ainsi signé un contrat avec la compagnie aérienne EasyJet, pour expérimenter ce système de transit basé sur la biométrie, de l’entrée dans le hall de départ à l’installation dans l’appareil. « Les tests de reconnaissance faciale pourraient révolutionner l’embarquement des passagers, explique Karen Cox, directrice des opérations au sol d’EasyJet. Ce projet correspond parfaitement à notre propre stratégie en tant que compagnie pour simplifier l’expérience client des voyageurs. » Objectif donc : rendre le passage par l’aéroport plus pertinent, plus rapide, plus agréable. Les données personnelles des passagers, collectées au moment où ces derniers enregistrent leurs bagages, sont ainsi utilisées tout au long de leur parcours dans l’aéroport. Bornes et portes d’embarquement reconnaissent donc les voyageurs automatiquement, à travers leur passeport et leur visage. L’expérimentation durera jusqu’à la fin de l’été 2018 et touchera environ 10000 voyageurs. Le système – s’il se montre infaillible – pourrait être généralisé à l’ensemble des compagnies opérant dans les deux terminaux de Gatwick. Selon le service d’information de l’aéroport, « ce système permettra de récupérer assez de données significatives pour pouvoir repérer les tendances et adapter la technologie afin de garantir une expérience optimale aux passagers ». Pour la gestion de l’aéroport, l’enjeu est de taille car de telles informations permettront d’optimiser les flux de voyageurs.
 
Des infrastructures high-tech adaptées
 
Pour garantir le bon fonctionnement de cette armada technologique, l’aéroport de Gatwick a donc investi dans son infrastructure high-tech, grâce à un partenariat avec Hewlett Packard Enterprise (HPE). Une infrastructure se présentant aujourd’hui comme un maillage territorial extrêmement pointu et fiable, basé sur une multitude de bornes de connexions de 40Gb afin d’éviter le moindre goulets d’étranglement dans le flux d’informations, et donc de voyageurs. Ce qui permet aussi à ces derniers de jouir d’un wifi ultra rapide sur l’ensemble de l’aéroport. « L’ancien système était vieillissant, utilisant un réseau de troisième catégorie mis en place par BAA (l’autorité publique qui gérait précédemment les aéroports londoniens), explique Cathal Corcoran. Depuis 2010 et notre nouveau système, nous battons des records de croissance du nombre de passagers. Afin d’assurer une expérience unique à ces derniers, nous avons eu besoin de mettre en place un système pouvant répondre à nos projections, et aux besoins des 250 commerces de proximité, des 30000 employés et des 45 millions de passagers annuels attendus. Notre réseau est tellement puissant que nous sommes à la hauteur d’un provider internet classique. » Cet investissement a donc permis à Gatwick de « passer de l’ancien au nouveau monde », selon les termes du directeur.
 
Un exemple qui fera certainement des émules, partout en Europe. La privatisation de plusieurs aéroports européens est en effet en chantier, comme pour Aéroport de Paris (ADP gère Roissy-Charles de Gaulle, Orly et Le Bourget). L’exemple réussi de l’aéroport de Gatwick pourrait lever les dernières incertitudes, et pousser les Etats actionnaires à sauter le pas.

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