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Les ventes de bombes explosent




le 7 Janvier 2016

« Revendiquées par l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), les tueries du 13 novembre dernier à Paris ont entraîné l’intensification de l’engagement occidental au Proche-Orient. » (1) Des évènements dont l’impact se fait ressentir notamment au sein de l’industrie de l’armement. L’intervention des puissances occidentales, grands exportatrices et "consommatrices" d’armes, au Levant s’accompagne logiquement d’un « boom » du marché des bombes. Retour sur les enjeux industriels, opérationnels mais aussi sur le paradoxe éthique de ce commerce de « marchandises » pas comme les autres.



Le "tapis de bombes" n'est plus vraiment d'actualité, mais la consommation de munitions croît tout de même fortement depuis 2001
Le "tapis de bombes" n'est plus vraiment d'actualité, mais la consommation de munitions croît tout de même fortement depuis 2001
Un indicateur du regain des tensions internationales

« Au rythme de nos engagements actuels, il est clair que nous consommons davantage de bombes que la courbe prévue dans la Loi de programmation militaire (LPM) » (2) déclare une source à la Défense. Les attentats de Paris le 13 novembre 2015 ont enclenché l’intensification des frappes aériennes occidentales, françaises en particulier, contre Daech au Moyen-Orient et, naturellement, l’accélération de la consommation des stocks de bombes.

En décembre 2015, Washington annonçait avoir tiré plus de 20 000 missiles et bombes lors des raids aériens contre l’Etat Islamique. (3) Un chiffre élevé qui devrait continuer d’augmenter alors que les puissances occidentales se mobilisent toujours plus dans la lutte contre Daech. Coté français, le marché des bombes connait la même croissance, intensifiée depuis que « la France est en guerre contre le terrorisme ». (4)  Alors que la situation géopolitique internationale empire, l’industrie de l’armement, elle, prospère.

Les variations de ce marché en disent long sur l’état du monde actuel. Notre époque contemporaine se caractérise ainsi par une multiplicité des conflits d’intensité variable, en cours sur l’ensemble du globe. Un regain des tensions internationales qui constitue un solide levier de croissance pour le marché des bombes. Mais bien que favorable au dynamisme de l’industrie de l’armement, le contexte géopolitique actuel amène avec lui son lot de difficultés opérationnelles.  

La pérennité des stocks de munitions : nouvel enjeu contemporain 

Ainsi, « une tension sur le marché des bombes est observée car de nombreux pays réarment ». (2) Si la croissance de cette industrie s’accélère, les grands exportateurs d’armes que sont les Etats-Unis et la France font désormais face à l’enjeu de la pérennité des stocks de munitions. Dès lors, comment subvenir à la demande de matériel nécessaire à l’effort de guerre contre le terrorisme international tout en continuant de subvenir aux besoins, eux aussi en hausse, de gros clients comme l’Arabie Saoudite ou encore le Qatar ?

En vue de l’escalade de la terreur que beaucoup présagent, « les Etats-Unis ne pourront peut-être pas fournir tous leurs clients potentiels simultanément ». (2)  Il en est de même pour la France. Car « si l'armée de l'air peut s'appuyer, à certains égards, sur une filière française performante (Safran, MBDA), certaines parties des missiles air-sol - les kits de guidage des bombes GBU, notamment - sont de production américaine…» (2) Les Etats se voient donc contraints d’anticiper car le risque de la pénurie de munitions est un risque qu’ils ne peuvent se permettre comme le dit Deborah Lee James.

Ainsi, ceux-ci s’arment pour prévenir cette éventualité. C’est ainsi que le Congrès américain acceptait la demande de l'Air Force d'un financement additionnel de 400 millions afin de renflouer les stocks de missiles et de bombes guidées. Du coté britannique, la Royal Air Force renfloue ses stocks grâce au Paveway IV Deal. (5) Coté français, si un récent rapport publié par Nicolas Bays (PS) et Nicolas Dhuicq (LR) reflète bel et bien ces préoccupations, ses auteurs se montrent toutefois confiants et déclarent que les « réserves stratégiques de munitions ne sont pas impactées actuellement et permettent une visibilité à 2 ou 3 ans ». (2) L’année 2016 devrait ainsi être une très bonne année pour les missiliers de tous pays. Mais ce constat est-il une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

Un paradoxe éthique sensible 

La vente de bombes et d’armes en général est soumise à une législation particulière. De fait, le caractère sensible de ces biens matériels induit que leurs échanges entre pays se doit d’être surveillé de près, les armes n’étant pas des biens comme les autres… Les lois régissant les ventes d’armes répondent à des intérêts économiques bien sur, mais aussi politiques et diplomatiques. Si l’industrie de l’armement dans son ensemble va donc vers un futur de plus en plus propice à son développement, tout le paradoxe de la « réussite » est là. Une industrie de l’armement qui se porte bien résulte souvent d’un monde qui va mal…

D’où le problème éthique relevé par certains à la suite de l’explosion du marché des bombes. Ainsi, peut-on réellement se réjouir de la bonne santé de la production de bombes quand celle-ci répond au « business de la destruction de vies » ? Les puissances occidentales ont désormais les deux pieds dans un business qui marche fort : celui de tuer ("neutraliser" dit-on pudiquement) des "terroristes", ou du moins ce que l'on identifie comme tel à plusieurs milliers de mètres d'altitude… Nul doute que la destruction du potentiel militaire de Daesh (véhicules, arsenaux, entrepôts, sources de revenus...) représentent un évident intérêt militaire et stratégique pour les pays aux prises avec l'Etat islamique sur le terrain. Est-ce que cela sert ou protègent nos intérêts en France ? La question peut se poser et la réponse n'a rien d'évident. 

Se remémorer les dires de Barack Obama qui en 2002 déclarait ne pas vouloir entrer dans une « guerre imbécile » (6) motivée par la colère, peut être utile afin de se demander si cette croissance anticipée du marché des bombes est réellement une bonne nouvelle pour les puissances occidentales. Si d’un point de vue économique elle l’est certainement, celle-ci traduit aussi l’escalade anticipée des conflits et menaces pesant sur l’ensemble des populations, là-bas comme ici.
 



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