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Les entreprises familiales et la Bourse




Publié par Romain Lambert le 13 Septembre 2018

- Entretien avec Louis-Victor d'Herbès -

Après un MBA à HEC Paris, et après avoir appris le métier d’investisseur, puis celui de conseil en introduction en Bourse auprès de sociétés réputées, Louis-Victor d’Herbès crée en 1996 son propre cabinet, IBI (Industrie Bourse International). Il aide ainsi, depuis plus de vingt ans, des entreprises à réussir leur introduction en Bourse. Un parcours qui lui permet de nous livrer une vision d’expert sur quelques enjeux clés concernant le financement des entreprises familiales en France.



Louis Victor d'Herbes
Louis Victor d'Herbes
Entretien avec Louis-Victor d'Herbès publié dans la Revue des affaires n°8  

Comment définiriez-vous en quelques mots votre activité de conseil en introduction en Bourse et de Listing Sponsor?
Mon activité consiste à aider des entreprises à entrer en Bourse, c’est-à-dire à être cotées sur les marchés boursiers (Euronext Access, Euronext Growth ou Eurolist pour ce qui concerne les actions), autrement dit à devenir des Public Companies dans la terminologie anglo-saxonne.

En quoi votre activité se distingue-t-elle du Private Equity?
Public Company s’oppose à Private Equity que l’on traduit ordinairement par capital-développement, capital-risque, ou capital-investissement, notion qui désigne plus généralement toute prise de participation dans une société non cotée en Bourse. Le terme Public Company désigne donc une société cotée tandis que Private Equity désigne une société dont les titres ne sont pas cotés.

Et que signifie Listing Sponsor?
Une société non cotée est placée sous le droit des sociétés. Une société cotée se place, elle, sous le regard de la réglementation boursière – ce qui est à mon avis plus protecteur, à partir d’une certaine taille, pour l’entreprise et pour ses actionnaires – en contrepartie de règles plus contraignantes, notamment en matière d’information. C’est là qu’intervient le Listing Sponsor (ou Listing Partner), l’intermédiaire chargé d’accompagner une entreprise avant son entrée sur le marché boursier Euronext Growth (ex-Alternext) et dans sa vie boursière ultérieure sur ce marché en lui rappelant, si besoin est, ses obligations d’information au public.

Quelles ont été les grandes étapes de votre apprentissage professionnel, avant de voler de vos propres ailes?
J’ai eu la chance de travailler avec des équipes à un haut niveau d’excellence dans leur domaine respectif. En premier lieu chez 3i, investisseur qui est encore une source d’inspiration pour quantité de financiers aujourd’hui. Je suis ensuite passé par AXA France, Edmond de Rothschild et un opérateur indépendant d’introduction en bourse. J’ai donc d’abord appris à entrer dans le capital de PME, puis progressivement à évaluer des entreprises de plus grande taille. J’ai appris à travailler pour des entreprises non cotées, puis pour des entreprises cotées ; d’abord en position d’investisseur, ensuite de conseil.

Vous dirigez depuis 1996 IBI, cabinet de conseil en introduction en Bourse. Quel est votre positionnement?
Le cabinet de conseil IBI a deux caractéristiques fortes : d’une part la liberté dans l’appréciation des situations de départ, d’autre part l’absence de conflits d’intérêts. Notre passion est d’accompagner les entrepreneurs et de les aider à maintenir l’indépendance et la pérennité de leur entreprise. Nous travaillons pour des entreprises indépendantes, dont le capital est de préférence entièrement détenu par les fondateurs ou leur famille.

Comment travaillez-vous auprès de ces entreprises?
Nous écoutons, nous analysons, nous conseillons. D’abord à partir des chiffres et des faits, puis d’évaluations sur les équipes et sur la marche des affaires. Cette capacité de jugement est essentielle pour aller vite et être juste. À la différence des financiers dans le capital-investissement qui ont tendance à ne voir que la plus-value, nous nous attachons au rendement, et donc aux dividendes, ce qui suppose au préalable un bénéfice net. Le rendement crée de la fidélité, c’est un point fondamental.

Quand vous aidez des entreprises à réussir leur introduction en bourse, c’est pour les aider à grandir. Avez-vous quelques exemples de développement important grâce à la Bourse?
L’introduction en Bourse permet à des entreprises de faire des choses extraordinaires.  Je pense par exemple au groupe CAPELLI (immobilier), entré en Bourse en octobre 2004 avec un chiffre d’affaires de 10,3 millions d’euros l’année précédant l’introduction en Bourse et qui a atteint 126,3 millions d’euros en 2017. Dans le même temps, la valeur boursière du groupe qui était de 40 millions d’euros au 1er jour de cotation a atteint 120 millions d’euros au 17 janvier 2018. Je pense aussi au Groupe JACQUET METAL SERVICE (métaux à haute valeur ajoutée), entré en Bourse en octobre 1997 avec un chiffre d’affaires de 51,1 millions d’euros l’année précédant l’introduction et qui a atteint 1,5 milliard d’euros à son dernier exercice. Dans le même temps, la valeur boursière de JACQUET METAL SERVICE qui était de 24,5 millions d’euros au 1er jour de cotation a atteint 732 millions d’euros au 17 janvier 2018.

D’autres exemples?
On peut évoquer DLSI (Travail temporaire), entré en Bourse en décembre 2006 avec un chiffre d’affaires de 82,8 millions d’euros l’année précédant l’introduction et qui a atteint 195 millions d’euros à son dernier exercice. Dans le même temps, la valeur boursière qui était de 25,8 millions d’euros au 1er jour de cotation a atteint 64 millions d’euros au 17 janvier 2018. On peut citer aussi de belles trajectoires comme ORPEA (maisons de retraite médicalisées), IVALIS (inventaires physiques de stocks), ou NSE (électronique de haute technologie)… Et on peut mentionner aussi les parcours d’entreprises cotées puis cédées en Bourse par leurs fondateurs : Groupe Philippe BOSC (coiffure à domicile), AIROX (appareils d’assistance respiratoire), et bien d’autres.
 
Et que dire de POULAILLON, un de vos clients figurant dans le classement des «500 surdoués de la croissance », publié en février 2018 par les Echos et France-Info?
Le groupe alsacien POULAILLON (Boulangerie et Eau minérale), notre plus récente introduction en Bourse par offre publique – et dont nous sommes Listing Sponsor, figure en effet dans le top 25 de ce classement sur le plan du chiffre d’affaires. POULAILLON réalisait 45 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014 et a atteint 67 millions d’euros en septembre 2017 soit, en trois ans, une hausse de près de 50 % en croissance organique, c’est-à-dire sans acquisition. Il faut noter que sur les quatre sociétés françaises cotées présentes dans le top 25 de ce classement, trois sont cotées en France, et deux le sont sur Euronext Growth qui confirme ainsi son utilité et son efficacité en permettant à des ETI d’exprimer leur potentiel. À la lumière de cette réussite, j’affirme que la Bourse est une source de financement imbattable et irremplaçable pour une entreprise ambitieuse et performante. Et je peux dire qu’une entreprise cotée en Bourse, selon sa taille, peut doubler son chiffre d’affaires en dix ou quinze ans, parfois moins de dix ans.

Vous êtes un fervent défenseur des entrepreneurs, notamment dans des entreprises familiales ou indépendantes. À vos yeux, quelles sont leurs qualités et vertus essentielles?
Plus que défenseur, je préfère dire promoteur de ces personnes qui entreprennent. Je suis toujours impressionné par leur capacité à créer de vraies richesses : un produit utile et ergonomique, un service innovant et efficace, des emplois, de l’enthousiasme, du rêve à partir d’un réel consistant… Dans un tel contexte, les profits suivent — ce qui est essentiel pour la pérennité et l’indépendance de l’entreprise. Les entrepreneurs talentueux montrent le chemin de l’efficacité qui, au prix de l’exigence, donne la liberté et génère la prospérité.

Les entreprises familiales, comme les autres, ont besoin d’argent frais et les crédits bancaires peuvent être difficiles à obtenir. Pourquoi se tournent-elles plus volontiers vers le capital-développement que vers la Bourse?
En ce qui concerne le crédit, il est normal que le crédit bancaire soit difficile à obtenir lorsqu’il est demandé aux banques de financer autre chose qu’un actif dit « corporel ». Les banques n’ont pas vocation à prendre des risques sur des actifs immatériels (sauf sur des fonds de commerce bien situés) ou sur des besoins en fonds de roulement, ou encore sur des entreprises dont les ratios de gestion sont mauvais. Pour la seconde partie de la question, il est vrai que les entreprises familiales — pour le moment, du moins — se tournent principalement vers les fonds de capital-développement (qui sont très présents commercialement), mais presque jamais vers la Bourse.

Pourquoi donc?
D’abord, toutes les entreprises n’ont pas vocation à entrer en Bourse. Ensuite, il vaut mieux prendre le temps de se préparer à une cotation que d’entrer en Bourse sans être prêt. C’est d’ailleurs notre rôle de conseil que d’évaluer la capacité d’une entreprise à tenir les engagements qu’elle aura pris sur un marché financier. Même si ces engagements ne sont pas aussi contraignants qu’on le pense ordinairement.

Cette idée serait, selon vous, véhiculée à dessein par les fonds de capital-risque?
Oui, je le répète, si les entreprises qui pourraient entrer en Bourse n’y pensent pas, ou décident de ne pas le faire, cela tient essentiellement aux effectifs considérables des équipes commerciales dans le capital-développement. On peut en effet les évaluer à plusieurs centaines en France, alors que les effectifs des promoteurs actifs de la Bourse sont compris entre dix et vingt personnes ! De plus, ces professionnels du capital-risque ont intérêt à entretenir l’idée qu’il y a plus de chance de générer une plus-value, étant donné que le prix à payer pour une participation au capital d’une entreprise non cotée est souvent plus bas. Cet imaginaire infuse une perception insidieuse selon laquelle la Bourse serait contraignante, non liquide, chère, et obligerait à se dévoiler. Pourtant une entreprise ambitieuse améliorera souvent sa performance en se plaçant sous le regard d’investisseurs institutionnels et individuels, et sous celui du public — qui augmentera la force de sa marque ou de son enseigne. Quant aux contraintes liées à une cotation, je dirai qu’elles sont à la fois structurantes et protectrices.

On parle de plus en plus des entreprises de taille intermédiaire (ETI), catégorie à laquelle appartiennent de belles entreprises familiales françaises. Les marchés financiers peuvent-ils répondre aux besoins de financement spécifiques de ces ETI?
Ces ETI ont des besoins en ressources longues et les marchés financiers peuvent en effet leur apporter, d’abord en fonds propres par des augmentations de capital, puis en emprunts obligataires lorsque ces entreprises ont fait leurs preuves.

Et que leur proposent de leur côté les fonds de capital-risque?
La différence est la suivante : les fonds de capital-développement exigent une rémunération calculée sur un taux actuariel, et souvent fixe ; les marchés financiers, eux, exigent une rémunération articulée sur un taux arithmétique pour les emprunts obligataires, espérant une plus-value sur leur investissement en action ou en obligations convertibles. Ce n’est pas la même chose.  À titre d’exemple, un taux actuariel de 8 % sur neuf ans conduit à un doublement du montant du capital à rembourser, alors qu’avec un taux arithmétique de 8 % il faut douze ans et demi pour le doubler. Or il est essentiel de présenter un niveau de performance suffisant pour accéder à des conditions de financement dites « arithmétiques ». C’est pour cette raison que toutes les entreprises ne sont pas aptes à entrer en Bourse. Cela est parfaitement conforme à la règle selon laquelle un apporteur de capitaux demandera une rémunération plus élevée pour un investissement plus risqué.

Beaucoup d’entreprises familiales sont tentées par des LBO, voire prêtes à quitter la France, ce qui contribue à aggraver la désindustrialisation de notre pays. Comment analysez-vous cet état de fait?
Pour rappel, un LBO (Leverage Buy-Out) est un montage juridico-financier de rachat d’entreprise par effet de levier, c’est-à-dire par recours à un fort endettement bancaire. Il importe de faire un gros effort de pédagogie pour expliquer la différence entre un LBO, une prise de participation minoritaire au capital, et une introduction en Bourse. Ce qui est en jeu pour les entreprises est de rester financièrement fortes, tout en prenant des décisions financières allant dans le sens de l’intérêt social.  Beaucoup d’entreprises essentielles à la vitalité du tissu industriel et économique français ont choisi, notamment de fin 1998 à 2008, de réaliser des LBO (à ne pas confondre avec le RES — Reprise d’Entreprises par les Salariés — dont le retour serait bienvenu), mais au bout du compte un grand nombre d’entre elles, et au premier chef leurs actionnaires fondateurs, n’ont pas obtenu les résultats escomptés.
Ce point est extrêmement important et il faudrait que toute la place se mobilise sur ce sujet. La mode des LBO a permis à un grand nombre d’actionnaires d’entreprises, le plus souvent non cotées, de céder leurs affaires à des conditions attractives. Tant mieux pour eux. Mais, à mon avis, dans les années qui viennent, la question va se poser de l’intérêt social de ce genre d’opération financière.

Cette situation est-elle irréversible?
À mes yeux, ce phénomène LBO n’a rien d’irréversible. La première raison est que les entreprises concernées par les LBO sont devenues pour certains fonds d’investissement de véritables  rente s : on voit ainsi des entreprises qui réalisent leur 2e LBO dit « secondaire », ou leur 3e LBO dit « tertiaire », voire davantage. La dette contractée pour ces opérations sert à rembourser des engagements purement financiers et non des financements industriels. Deuxième raison, il est tout à fait possible de déclencher une prise de conscience sur les moyens de rendre le tissu industriel et économique français plus fort si l’on propose de comparer systématiquement l’introduction en Bourse avec le LBO et la prise de participation minoritaire au capital. Troisième raison, plus triste, les entreprises qui seraient suffisamment solides pour supporter financièrement un LBO sont bien moins nombreuses depuis l’explosion de la bulle de 2007-2008.

Vous rencontrez beaucoup d’épargnants dans des réunions publiques. Sont-ils nombreux à avoir envie d’investir dans des entreprises familiales et indépendantes?
Oui, beaucoup de personnes sont prêtes à placer une partie de leur épargne dans des entreprises proches d’elles, soit géographiquement, soit affectivement : parce que ces entreprises ont un métier intéressant, ou parce qu’elles recrutent des jeunes, ou parce qu’elles créent des emplois... Beaucoup d’épargnants sont conscients de la nécessité d’épauler les entreprises de leur pays. J’en suis témoin dans les réunions publiques que j’organise pour que des entrepreneurs et des actionnaires individuels se rencontrent.

De quoi ont vraiment envie ces petits porteurs en puissance?
La première question que posent ces investisseurs individuels lorsqu’on leur parle d’introduction en Bourse est la suivante : « cette société va-t-elle verser un dividende ? » Cette question peut sembler naïve, alors qu’elle est pleine de bon sens. Pour qu’il y ait dividende, il faut que l’entreprise génère un résultat net positif. On a vu que, depuis la crise de 2007-2008, pour générer un résultat net positif il faut fournir plus d’efforts qu’auparavant. Et l’épargnant le sait, car il sait souvent beaucoup de choses. Il faudrait davantage d’épargnants.

Et, selon vous, comment pourrait-on amplifier cet engouement des épargnants pour l’investissement dans des entreprises cotées?
On peut tenter de faire revenir ceux qui sont partis de France, mais je pense qu’il est plus efficace de proposer d’investir au capital d’entreprises performantes à un prix raisonnable. L’incitation fiscale est utile, par exemple le PEA, mais n’est qu’une partie de la solution. Il faut donner à l’investisseur l’envie de vibrer pour son pays et ses entreprises en exerçant sa liberté d’investir.

Vous citez Léonard de Vinci sur votre site internet, en substance : «Je définis la force comme une vertu spirituelle […] La lenteur la fait grande et la vitesse l’affaiblit». Que dit cette phrase sur votre pratique professionnelle?
Pour moi, cela veut dire qu’une fois l’introduction en Bourse décidée, il faut agir vite. L’introduction en Bourse est une force au service des entrepreneurs qui, ayant suffisamment médité, agissent vite. Et j’ajoute : entrez en Bourse sans attendre d’être parfait ! La sagesse universelle veut que la finance soit au service de votre entreprise.
 



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