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« Malle » - aimé : L’affaire Ghosn




Publié par Yasmina Ghantous le 18 Juillet 2022

Le 19 novembre 2018, Carlos Ghosn homme d’affaire libano-franco-brésilien et ancien patron de l’alliance Renault-Nissan, est arrêté au Japon pour cause de fraude fiscale. Cependant, le motif de son inculpation au Japon est bien plus complexe, et comprend des dimensions politiques, stratégiques et commerciales. En décembre 2019, il s’enfuit de façon romanesque d’un système juridique japonais où il ne voit aucune issue, pour rejoindre son pays d’origine, le Liban. Cette fuite a inspiré notamment la série Lupin sur Netflix, où l’on peut voir Omar Sy se cacher dans une malle pour s’introduire incognito dans un théâtre…



L’ascension…
 
C’est en 1978 que Carlos Ghosn commence sa carrière chez Michelin, où on le surnomme très vite le « cost killer », ce qui en dit long sur son mode de leadership. En 1996, il devient directeur général adjoint chez Renault. Le groupe se cherche un partenaire : Nissan. En 1999, l’alliance Renault-Nissan est engagée, lorsque l’identité et les profits de Nissan battaient de l’aile. Deux cultures s’entrechoquent : la réflexion et l’esprit d’analyse français vs le goût pour l’action japonais. Ghosn espère tirer profits des qualités respectives des deux cultures pour gouverner. Mais très vite, il exige des sacrifices trop gros, mais jugés indispensables pour la restructuration de Nissan : au Japon, 5 usines ferment et 21 000 postes sont supprimés. Ces mesures sont perçues comme étant très inspirées par une vision américaine des affaires. Au bout d’un an, ces mesures drastiques se sont avérées fructueuses : les profits se sont multipliés. Carlos Ghosn est ainsi devenu un véritable héros aux yeux des Japonais : il est très médiatisé, des boîtes de bento à son effigie, des mangas qui le mettaient en scène etc.  Aux yeux de la France, la surmédiatisation d’un homme d’affaires français, notamment à la une de Paris Match (réservée généralement aux personnalités People), met en garde contre l’appétit pécuniaire de Ghosn et son désir de grandeur.

En 2005, il devient PDG de Renault, et en 2017, il prend la tête de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. En quelques années seulement, le leader, souvent perçu comme autoritaire, déterminé, redresse le fleuron japonais qui était au bord de la faillite, et valorise l’image de Nissan. Chez Renault, il n’est pas apprécié humainement, mais admiré professionnellement. Il ne tisse pas de liens sentimentaux avec les gens de Renault. Il n’a pas investi en des relations avec les gens du pouvoir, ou les politiques français, les Français critiquent son arrogance, son impatience.   

En lui donnant les rennes de Renault, l’ex-PDG Louis Schweitzer confie qu’il pensait que Carlos Ghosn renoncerait à ses fonctions chez Nissan. Mais il n’en est rien : Ghosn gagne quatre fois plus chez Nissan, et les salaires au Japon à l’époque ne sont pas divulgués contrairement à la France, où il est accusé pour abus de pouvoir et manque de morale. 
 
 
La chute …
 
Au japon, il est très rare qu’un « gaijin » devienne PDG, encore plus rare que celui-ci réussisse.  Le 19 novembre 2018, Ghosn est arrêté par les autorités japonaises. Il est très vite incarcéré sans procès. Greg Kelly, membre du conseil d’administration de Nissan à l’ère Ghosn et bras droit de ce dernier, est invité par email pour se rendre immédiatement au Japon : il a été piégé, le procureur et un interprète l’attendent à son arrivée. Hiroto Saikawa, PDG de Nissan entre 2017 et 2019, prend la parole quelques heures après l’arrestation de Ghosn lors d’une conférence de presse. Il y dévoile les raisons présumées de son arrestation : Ghosn serait à l’origine d’importantes malversations. Il dénonce la concentration des pouvoirs (direction et gouvernance) comme étant à l’origine de ces abus. Il aurait déclaré bien moins que ce qu’il gagnait en réalité. D’aucuns pensent que, pendant longtemps, Nissan a fermé les yeux sur certaines choses, afin que Carlos Ghosn n’aille pas chez la concurrence : c’était un moyen parallèle de le rémunérer.

Greg Kelly quant à lui est accusé d’avoir orchestré et mis en œuvre ces fraudes ; il perd ainsi son statut de directeur. Carlos Ghosn se défend : il n’a pas déclaré cet argent puisqu’il ne l’a pas encore reçu, c’est une déclaration d’indemnité qui devait être payée après sa retraite, d’un montant décidé par le conseil d’administration après sa retraite. Le 10 décembre 2018, après une garde-à-vue de 22 jours, il est inculpé pour ces raisons.

Dix jours plus tard, il est l’objet d’une troisième enquête judiciaire au Japon pour abus de confiance aggravé. Ainsi, en janvier, et deux fois en avril 2019, les inculpations s’accumulent, et il est à nouveau arrêté. Le système japonais obtient 99,9% de condamnations. La présomption d’innocence n’est pas le postulat de départ contrairement à en Europe.
Mais à cette raison de minoration d’indemnités viennent s’ajouter trois autres éléments : Nissan a peur d’une fusion éventuelle avec Renault et de fait par le ministère des finances tricolore comme actionnaire de l’alliance, une éventualité que Ghosn a fortement soutenue. Les signes avant-coureurs d’un conflit politique et économique entre Nissan et Renault s’illustrent notamment dans le déséquilibre des influences : Renault a 43% de contrôle sur le capital de son homologue japonais, tandis que ce dernier ne contrôle que 15% du groupe français. Pourtant jouissant d’un meilleur statut économique, Nissan se méfie de sa faible position politique. Ghosn n’a pas su lire les signes, ni cherché à comprendre la politique économique japonaise en profondeur, et c’est ainsi qu’il est tombé.

Hari Nada, un juriste chez Nissan proche de Ghosn, est l’homme à l’origine du scandale : c’est à partir de lui que les combines fiscales de Ghosn ont été dévoilées au sein de l’entreprise, jusqu’à arriver aux autorités japonaises. C’est lui aussi qui a envoyé le private jet à Kelly afin de le piéger. Son mobile ? Comme il a participé à minorer les revenus de Ghosn, il a préféré devenir une source d’information pour les autorités japonaises en échange d’une immunité judiciaire. De plus, le jour de l’arrestation de Ghosn, une cérémonie était organisée à l’ambassade de France au Japon afin de célébrer les liens amicaux et commerciaux entre les deux pays. Les Japonais ont profité de l’occasion pour informer les Français de la fraude et l’arrestation Ghosn. Ainsi, le président Emmanuel Macron était très vite au courant de l’affaire. À ce moment, le paysage social en France était perturbé par la crise des gilets jaunes, et donc le choix des autorités françaises, s’est porté sur la conservation des liens franco-japonais, en choisissant de ne pas défendre Ghosn.
 

L’évasion …    

« Les Japonais sont des gens très organisés, et quand on est très organisé, on est prévisible », ce sont les mots de Carlos Ghosn, prononcé pour un podcast libanais « Sarde after dinner » alors qu’il racontait sa fuite. Comme il se voyait condamné au Japon, la fuite s’est très vite imposée comme le seul moyen de s’en sortir. Tandis qu’il était assigné à résidence, Ghosn était surveillé par les autorités et également suivi mystérieusement par des gens de façon illégale. Comme le juge n’a pas agi face à cela, les avocats de Carlos Ghosn l’ont informé que le seul moyen d’empêcher ces gens-là de le suivre serait de médiatiser cela en faisant appel aux tabloïds. À chaque fois que les tabloïds arrivaient, l’ex-patron n’était plus suivi.

En décembre 2019, ses proches ont encore fait appel aux tabloïds, et comme convenu, les veilleurs avaient fui. Il en a profité pour sortir, couvert mais reconnaissable, jusqu’à arriver dans un hôtel où il s’est changé pour passer incognito. Arrivé à l’aéroport d’Osaka, deux « faux » musiciens l’attendaient, et il s’est réfugié dans une boîte d’instrument de musique. Pour échapper aux rayons X, les deux complices ont précisé aux employés – qui, à ce moment de l’année étaient forcément des employés à mi-temps, moins diligents – que l’instrument qu’ils portaient était trop fragile pour subir les rayons, et qu’il était très important qu’il arrive intact en Turquie pour leur concert.

Avec son passeport français que les Japonais lui ont laissé parmi les trois qu’il détient, Ghosn arrive au Liban où il réside depuis, sans possibilité de sortir du territoire. Aujourd’hui, il est sous mandat d’arrêt d’Interpol. Pourtant, selon Carlos Gohsn le mandat d’arrêt international n’est pas possible selon les règles d’Interpol car pour lui il cumule trois cas d’invalidation : c’est une affaire politique, il s’agit d’une violation des droits de l’Homme, le sujet de l’arrestation ne relève pas de la justice.

Enfin, la fuite du businessman peut potentiellement être à l’origine d’un resserrement de l’étau sur Greg Kelly qui se bat encore aujourd’hui pour prouver son innocence.



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