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Union européenne : le futur règlement européen relatif à la diffusion de « contenus à caractère terroriste en ligne »




Publié par Camille Blanc le 23 Janvier 2019

Entraver la diffusion de « contenus à caractère terroriste en ligne », tel est le but du règlement européen « anti-terrorisme ». Sur proposition française, le futur règlement dévoilé récemment par la Commission européenne revoit à la hausse les obligations pesant sur les intermédiaires techniques.



Un objectif anti-terroriste

Dès les premières lignes du projet de règlement européen relatif à la diffusion de « contenus à caractère terroriste en ligne », l’objectif apparaît : « Les attentats terroristes perpétrés récemment sur le territoire de l’Union ont montré comment les terroristes abusent de l’internet pour faire des émules et recruter des sympathisants, pour préparer et faciliter des activités terroristes, pour faire l’apologie de leurs atrocités et pour exhorter d’autres à leur emboîter le pas et à semer la peur parmi le grand public. ».
Depuis des années, les prestataires de services en ligne tentent de lutter contre cette utilisation de l’internet. La Commission européenne en dénonce les limites de l’exercice : tous les fournisseurs d’hébergement n’y ont pas participé et les progrès des volontaires sont jugés parfois insuffisants. Voilà pourquoi il est « manifestement nécessaire de renforcer l’action de l’Union européenne pour lutter contre les contenus à caractère terroriste en ligne ».

Un règlement plutôt qu’une directive

En optant pour un règlement — et non une directive donnant lieu à des lois de transposition nationales — l’institution bruxelloise plaide pour un moyen d’action commun à l’ensemble des États membres. Ces lois nationales seraient trop en retrait ou au contraire trop musclées. Elles pourraient inciter les hébergeurs à s’installer ici ou là en fonction du climat législatif.
L’article 4 du règlement permet en effet aux autorités publiques de demander directement à n’importe quel hébergeur le retrait d’un contenu relevant de l’apologie du terrorisme. En pratique, cela entérine la situation qui prévaut dans tous les pays réprimant l’apologie ou la provocation au terrorisme. Ainsi en France, depuis 2015, le ministère de l’Intérieur est compétent pour censurer la provocation ou l’apologie du terrorisme sur Internet (si l’hébergeur n’empêche pas l’accès au contenu visé sous 24 heures, alors le blocage de l’ensemble du site peut être mis en place par les fournisseurs d’accès à Internet français). Le tout sans aucun contrôle judiciaire préalable. Ainsi, en 2015, la France est devenue (devant l’Inde et la Turquie) le pays qui a obtenu le plus grand nombre de suppressions de pages Facebook, 38 000 suppressions en un an, pendant que l’Allemagne ou Israël n’en obtenaient que 500 (1).

Retrait de contenu en moins d’une heure !

Là où le règlement européen fait une avancée radicale, c’est qu’il impose qu’un tel retrait par les hébergeurs intervienne en un délai record d’une heure, sous peine de sanctions financières. Il prévoit aussi de passer par une voie encore plus discrète pour censurer ces contenus : les « mesures proactives ». Ce sont des outils de censure automatique déjà développés par les grandes plateformes comme Facebook ou YouTube et qui pourront être paramétrés en concertation avec les autorités (article 6 du règlement). Le futur règlement européen prévoit de généraliser ces outils à l’ensemble des acteurs du Web (non seulement Facebook et YouTube mais aussi OVH, Gandi, NextCloud, Mastodon...), voire aux outils de messagerie (WhatsApp, Signal, Télégram, Protonmail...). Concrètement, tous les acteurs du numérique devront développer des « mesures proactives pour protéger leurs services contre la diffusion de contenus à caractère terroriste ».

Qu’est-ce qu’un « contenu à caractère terroriste » ?

L’article 2 du règlement explique que les contenus auxquels le texte s’appliquera sont des textes, images ou vidéos qui « provoquent à la commission », « font l’apologie », « encouragent la participation » ou « fournissent des instructions sur des méthodes ou techniques en vue de la commission d’infractions terroristes ». Tout repose donc sur ces « infractions terroristes », définies par le droit de l’Union à l’article 3 de la directive 2017/541 (2).
On y retrouve bien sûr les meurtres visant à terroriser la population. Mais aussi des actes plus éloignés et moins attendus, tels que le fait de « provoquer une perturbation grave ou une interruption » d’un système informatique (un ordinateur, un site Web…) ou de « causer des destructions massives […] à un lieu public ou une propriété privée, susceptible […] de produire des pertes économiques considérables ». Pour être qualifiés d’infractions terroristes, ces actes doivent être commis dans le but de « contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » (retirer un projet de loi, par exemple) ou dans le but de « gravement déstabiliser […] les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d’un pays ». La simple menace de commettre de tels actes entre aussi dans la définition.
En droit européen, donc, le piratage ou la destruction massive de biens ou la menace de le faire sont des « infractions terroristes » dès lors qu’il s’agit d’influencer une décision politique ou de déstabiliser des institutions.

Censure par les plateformes

Une censure de tels contenus pourrait donc intervenir de deux manières : quand les « mesures proactives » prises par un réseau social comme Facebook n’auront pas suffi à bloquer les contenus visés, la police pourra prendre le relais, pouvant exiger des services défaillants la suppression d’un contenu dans un délai d’une heure. Tout cela sans l’autorisation préalable d’un juge. Les acteurs concernés s’exposeront à des sanctions s’ils échouent trop souvent à censurer dans le délai d’une heure (article 18).
Fondamental pour l’avenir des libertés publiques à l’échelle de l’Europe entière, ce texte fait pourtant peu parler de lui. Alors que la contestation nourrie par le mouvement des gilets jaunes se poursuit, alors qu’enflent les rumeurs d’une possible censure du mouvement par Facebook, certains vont jusqu’à imaginer comment ce règlement s’appliquerait à des mouvements sociaux comme celui des Gilets jaunes (3).
 
(1) https://fr.statista.com/infographie/4838/la-france-reine-de-la-censure-des-contenus/
(2) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32017L0541
(3) https://www.ojim.fr/union-europeenne-prepare-les-nouvelles-censures-des-mouvements-sociaux-sur-internet/

 



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