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Opération Sangaris, ou les nouveaux errements de la diplomatie française




Publié par Alexandre Perrault le 6 Janvier 2014

L’opération Sangaris, menée actuellement par l’armée française en République Centrafricaine (RCA) sera longue et difficile, surtout avec les moyens actuels et sans stratégie claire impulsée par le chef de l’Etat. Sous-dimensionnées, et bloquées par un contexte local bien plus délicat qu’au Mali, les forces militaires françaises font aussi les frais d’une certaine légèreté de la diplomatie française et du pouvoir politique.



Soldats rebelles de RCA. Les uniformes des "soldats" à l'arrière-plan donne une idée précise de la difficulté qui attend les forces françaises          (crédit : Martin H.)
Soldats rebelles de RCA. Les uniformes des "soldats" à l'arrière-plan donne une idée précise de la difficulté qui attend les forces françaises (crédit : Martin H.)
Du Mali à la Syrie : l’emballement du pouvoir politique

Serval restera un modèle de l’art opératif à la française, exécuté avec une rapidité et une efficacité qui ont largement contribué à la défaite d’un ennemi surpris et bousculé par la violence de la riposte française. Mais l’opération Serval avait pour elle de se dérouler dans un cadre tactique relativement simple : un ennemi clairement identifié, presque totalement coupé des populations, et évoluant dans une zone très faiblement peuplée. Qu’on ne s’y trompe pas pour autant, elle restera également une des plus exigeantes opérations menées par les armées. Nos morts tombés au combat sont là sont pour nous rappeler qu’on ne gagne pas ce type de conflits en bombardant à distance de sécurité : il a fallu traquer l’ennemi au sol et le neutraliser « au contact ». L’armée française a remporté une éclatante victoire militaire au Mali en réduisant considérablement le potentiel militaire d’AQMI et en tuant plusieurs de ses leaders. Il s’agit d’une des premières véritables victoires « conventionnelles » contre un adversaire qui croyait en l’invulnérabilité de ses sanctuaires. Notre ennemi a adapté ses modes d’opérations à sa nouvelle situation tactique, et il en est maintenant réduit à des attaques terroristes plus « classiques », nécessitant en retour non des opérations militaires, mais le rétablissement de forces de sécurité maliennes. A l’instar de ce qui s’est passé en Irak et en Afghanistan, nous avons gagné la guerre, mais nous devons désormais gagner la paix, et cela sera autrement plus compliqué.

Grisé par le succès militaire au Mali, le pouvoir politique français s’est quelque peu laissé emporter lors de l’épisode de l’attaque chimique en Syrie. Sans que l’on sache encore avec précision si l’ordre de tir venait ou non de Bachar-El-Assad (ou d’une initiative malheureuse prise au sein de l'armée loyaliste), et alors que les rebelles syriens sont toujours suspectés de leur côté de détenir des armes équivalentes, la diplomatie française s’est empressée d’appeler à « punir » le régime syrien, via des frappes et un hypothétique changement de régime. Sauf qu’à cette occasion le Quai d’Orsay et le gouvernement ont révélé le poids réel de la France sur la scène internationale. Au final, la décision d’intervention française sera laissée à l’appréciation… du Congrès américain, après la décision d’Obama de s’en remettre à un vote des parlementaires. La suite est connue : après le forfait européen, le désistement britannique et les tergiversations américaines, c’est finalement la Russie qui sort grand vainqueur des manœuvres diplomatiques, en réussissant à proposer un compromis qui sort tout le monde de l’embarras, à l’exception de la France, exclue des négociations et laissée bien seule avec ses velléités guerrières. Reste à espérer que le gouvernement a au moins retenu une leçon : la crédibilité de la posture stratégique française repose certes pour partie sur la dissuasion nucléaire, mais aussi et surtout sur la dissuasion conventionnelle, c’est-à-dire sur la capacité ou non à passer militairement, "boots on the ground", de la parole aux actes. Or, sans même s’interroger sur l’utilité stratégique d’une telle opération, la France n’a clairement pas les moyens de provoquer seule un changement de régime en Syrie. Et à défaut de savoir si cela est souhaitable ou non, le gouvernement aurait au moins pu se demander si cela était au moins possible.

La « revanche » centrafricaine

A l’instar du Mali, la légitimité de l’opération Sangaris apparait difficilement discutable. La France, comme la majorité des autres pays européens, ne peut pas se permettre de voir une vaste région d’Afrique basculée dans l’anarchie et devenir une zone de non-droit et de trafics en tous genres. En plus des aspects humanitaires de protection des populations (ressortissants étrangers et populations locales), le positionnement de la RCA, située entre la Nord du Cameroun (où opèrent des groupes affiliés à Boko Haram), la région des grands lacs et le très instable Sud-Soudan, en fait un pays critique sur le plan stratégique. C’est bien la faiblesse des forces de sécurité centrafricaines qui permet jusqu'à présent la persistance de l’Armée de Résistance du Seigneur (Lord Resistance Army), malheureusement bien connue pour ses exactions (dont le massacre de Makombo). En novembre et décembre 2010, le Tchad a même été amené à bombarder des positions rebelles de la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix, un autre mouvement de rébellion, pour défendre Birao en RCA.

La nécessité de l’opération Sangaris ne fait guère de doute, de même que son urgence. Mais la France est partie là-bas de manière quelque peu précipitée, notamment sans s’assurer du soutien politique, mais surtout matériel et humain, des autres pays européens. Et aujourd’hui, la France se retrouve bien seule aux côtés de forces africaines à la légitimité et à l’impartialité contestées. Sur le plan de la politique intérieure, il est difficile d’y voir autre chose qu’une manœuvre destinée à faire oublier le fiasco syrien. Sur le plan diplomatique, il s’agit de prouver que la France a encore les moyens et la volonté d’intervenir dans ce pré carré européen qu’est (re)devenue l’Afrique, depuis le virage stratégique américain vers la zone Asie-Pacifique. Il aurait pourtant été possible de rééditer l’opération Eufor menée au Tchad et en RCA de mars 2008 à mars 2009. Considérée à l’époque comme un succès, elle avait à juste titre suscité l’espoir de voir se multiplier des opérations « européennes ». Mais la précipitation française, conséquence de l’urgence d’une situation que nous avons lentement laissée se dégrader, a ruiné dès le départ une telle option. Depuis la Syrie, la France ne semble plus avoir de réelles capacités de conviction et d’entrainement auprès de ses alliés. Alors elle a décidé de faire sans, pour montrer qu’elle peut encore être à la hauteur.

Sauf que les moyens ne sont pas à la hauteur des ambitions, pour des objectifs qui ne sont d’ailleurs pas clairs : un « but humanitaire et sécuritaire » selon les mots du Ministre de la Défense, ce n’est pas une stratégie (les buts « de » la guerre). Sécuriser l’aéroport et les axes routiers vitaux pour l’acheminement de l’aide humanitaire non plus ; il s’agit d’objectifs militaires de niveau opératif au mieux (les buts « dans » la guerre) relevant de l’action des troupes au sol et non d’une stratégie décidée par le pouvoir politique. Il n’est pas surprenant dans ce contexte que le soutien de la population française commence à diminuer : Il est dur de comprendre ce que le politique est bien en peine d’expliquer.

Un "bourbier" centrafricain ?

Il semble que l’expression fasse l’objet d’un concours dans les milieux médiatiques : c’est au premier qui sortira l’expression de « bourbier », la plupart du temps sans la moindre idée de la réalité d’une opération militaire. L’opération Serval avait battu tous les records en la matière : moins de 48 heures après le lancement des opérations, le terme avait commencé à faire florès dans des médias de second plan, avides de sensationnalisme à peu de frais. Mais pour une fois, le terme de « bourbier » risque bien de s’appliquer rapidement. Mais il sera pour l’essentiel la conséquence de moyens militaires sous-dimensionnés, au service d’une vision stratégique absente. Le contexte de RCA n’est pas du tout le même qu’au Mali : il s’agit d’une guerre au milieu des populations, avec un ennemi mal défini qui n'est pas discernable aisément. Il ne s’agit plus d'opérations de coercition, mais d’imposition de la paix, avec éventuellement un recours à la force. Ce type d’opérations, reposant sur le contrôle de zone, les reconnaissances et un important travail de renseignement, nécessite du temps et des moyens que le France n’a pas déployé sur place. Le désarmement de l’ensemble des milices serait une entreprise titanesque qui réclamerait beaucoup plus de moyens que ceux dont disposent les forces sur place, avec un résultat qui est loin d’être garanti. Il ne fait aucun doute que les soldats français tenteront d’accomplir leur mission avec le même niveau d’excellence dont ils ont su faire preuve pour l’opération Serval. Mais il appartiendra au niveau politique d’assumer les conséquences d’une opération très largement improvisée au niveau politique, et dont les motivations réelles n’ont peut-être pas grand-chose à voir avec la situation en RCA. Mais quoiqu’il arrive, ce seront les soldats qui, les premiers, paieront le prix de cette légèreté. Et cela s'est déjà produit.



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