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Le fonds In-Q-Tel, à l’origine de méfiance et source d’inspiration pour les services français.




Publié par La Rédaction le 29 Mai 2023

Alors que la notion de protection des ressources économiques et industrielles n’apparaît qu’au milieu des années 2000 en France, avec notamment la nomination d’Alain Juillet au titre de Haut Responsable de l’Intelligence Économique au sein du SGDN, c’est bien depuis la fin de la guerre froide que le curseur américain est placé dessus. L'intelligence économique est un terrain de conflit à part entière, mais dont le combat est asymétrique tant la France semble souffrir de l’agressivité américaine depuis plusieurs années. La cause : des fonds, à l’image d’In-Q-Tel, au service du renseignement économique américain.



In-Q-Tel : un fonds d’investissement financé par la CIA au service du renseignement et de l’intelligence économique.

Financé par la CIA, ce fonds n’est pas voué à créer du profit, mais bien de protéger et de monopoliser le financement d’entreprises concevant des technologies amenées à accompagner les services de renseignement et les forces armées américaines. Ce fonctionnement innovant permet ainsi à ce que le renseignement reste toujours en phase avec les évolutions technologiques de son temps. Cela entraîne de fait la protection de pépites américaines, protégeant donc la souveraineté industrielle de l'État et évitant la fuite de technologies.
 
Cependant, les actions du fonds ne sont pas seulement domestiques, et cette dynamique de souveraineté technologique et informationnelle s’exporte : en recherchant l’appropriation de brevets à l’international, l’objectif affiché du fonds est d’entrer au conseil d’administration de pépite technologiques internationales, renforçant ainsi la souveraineté américaine internationale et affaiblissant la marge de manœuvre et l’indépendance de ses alliés.
 
C’est ainsi qu’In-Q-Tel rentre, pour la première fois en France, au capital d’une startup technologique française : Prophesee. La prise de contrôle partielle des financements de cette pépite confère ainsi aux États unis une expertise dans le domaine de la captation d’images par rétine artificielle. Cela en prime permet aux États-Unis d’acquérir une technologie et un savoir-faire de pointe, utilisable dans la recherche informationnelle sur des théâtres d’actions, ainsi qu’à des fins de surveillance. En parallèle de ses investissements dans des start-ups locales telles que Palantir ou Google Earth, In-Q-Tel a officiellement, fin 2021, financé 15 pépites européennes.

En France : le manque de barrières face aux investissements américains dans l’industrie de pointe.

L’intégration susmentionnée d’In-Q-Tel au capital de Prophesee révèle une faiblesse fondamentale dans la protection des pépites technologiques et industrielles françaises, et donc dans la mise en place d’une structure d’intelligence économique robuste face à l'agressivité des fonds américains.
 
La première faille notable est le manque significatif de fonds attribués à la défense et aux start-ups à intérêts stratégiques en France. Malgré l’effort récent de fonds publics en France, par le biais de la BPI (DefInvest par exemple), la frilosité des institutions bancaires privées ne permet pas de protéger la structure financière des pépites assurant la souveraineté de la nation. Le manque de communication entre banques et industriels, ainsi que la peur de détérioration de réputation (suivant des principes d’éthique écologique et sociale) freinent l’investissement privé dans ces secteurs stratégiques. Ce manque de financement fait bien évidemment défaut aux start-ups françaises, dont le développement et le maintien de l’expertise technologique nécessitent des investissements importants réguliers. Lorsqu’In-Q-Tel investi plus de 120 millions de dollars par an, DefInvest propose des investissements à hauteur de 100 millions d’euros sur 5 annuités.
 
La difficulté de protection de la souveraineté industrielle française résulte en outre de failles structurelles et de mentalité de l'État français. La disparition, pour commencer, du ministère de l’Industrie, absorbé par Bercy, reflète efficacement l’ascendant idéologique anglo-saxonne, tourné vers la financiarisation du système, ainsi que la primauté de l’investissement étranger et du macro-développement plutôt que du protectionnisme industriel et du micro-développement.
 
 

 

 


Vers une prise de conscience ?

Récemment semble toutefois développée un changement de tendance et une prise en considération des enjeux d'intelligence économique au profit de l'intelligence industrielle et technologique, assurant par conséquent la souveraineté stratégique de la France. C’est ainsi qu’en 2016, le Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Économique naît au sein de la direction générale des entreprises. L’objectif avoué de ce service est en fait la protection des actifs stratégiques de l’économie française face aux menaces étrangères.
 
Mais la mise en place d'organismes de veille et de surveillance ne suffit pas à motiver la rétention des entreprises stratégiques en France, lorsque les financements ne peuvent accompagner l’ambition technologique. C’est dans ce but que déjà en 2004, Alain Juillet propose d’établir un In-Q-Tel Français, autrement dit un fonds d’investissement stratégique, destiné à protéger l’intelligence industrielle française. 13 ans plus tard, le ministère des armées développe, par le biais de la Bpi, le fonds DefInvest, dont les capacités sont, comme mentionné auparavant, encore trop limitées.
 
La création du Fonds Le Lac d’Argent offre cependant un premier espoir vers un financement conséquent et adapté, avec une dizaine de milliards d’euros dédiés à la protection de pépites françaises cotées. Ce fonds public offre une arme crédible face à l’agressivité des fonds américains et internationaux. Toujours est-il que le financement pre-seed reste une priorité, et le développement de fonds tels que Ace Capital (Tikehau) ou bien Expansion (dans le domaine spatial) offre des solutions aux entrepreneurs français. La protection du capital de Preligens, start-up du renseignement spécialiste dans la collecte et l’intégration de l’information multi-source par l’intelligence artificielle, par Ace Capital, la Bpi et 360 Capital, un fonds européen de Venture Capital, donne l’exemple d’un succès de financement et de protection de pépite technologique française, dont l’intelligence artificielle est enviée par les services américains.
 
Finalement, la protection des actifs stratégiques devra inévitablement passer par une prise de conscience des décideurs politiques français, qui a souvent fait défaut ces dernières années, comme peuvent l’illustrer les affaires Alstom en 2014, ou bien plus récemment le rachat d’Exxelia par Heico. Fondamental, le politique se doit de comprendre que la souveraineté de la défense, de la sécurité, de l’énergie ou bien de l’agriculture française se joue dans la protection de pépites technologiques et industrielles, à protéger à tout prix face aux offensives étrangères.



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