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Transport stratégique militaire : le bout du tunnel ?




Publié par Hugo Fournier le 15 Avril 2020

La récente attribution du contrat de transport stratégique à l’affréteur AVICO devait en théorie clore trois années de turbulences autour de cette activité éminemment sensible. Ce n’est pas forcément le cas, avec de nombreuses questions restant en suspens aussi bien sur l’expertise du nouvel entrant que sur les conditions qui ont amené à l’éviction du précédent prestataire, International Chartering Systems ou ICS. Retour sur une affaire qui, de recours en recours, n’en finit pas d’empoisonner le ministère des armées depuis 2017.



Une attribution déjà contestée

La société de Mourad Majoul s’est vu attribuer début février 2020 le marché portant sur les besoins de transport aérien planifiés du Ministère des armées (Minarm). Mais la notification définitive du contrat devra probablement attendre, compte tenu des recours déjà déposés en nombre contre cette décision pour le moins surprenante. Une première audience à huis clos au tribunal administratif de Versailles a eu lieu fin février, avec une décision qui était attendue en mars sur ce sujet, mais qui devra probablement attendre la fin de l'épidémie de Covid-19.

Vincent Lamigeon du magazine Challenges a pu entre temps avoir accès au mémo du SGA, défendant à la barre du Tribunal de Versailles la décision de confier le contrat à AVICO. L’Etat s’est risqué sur ce sujet à une argumentation pour le moins surprenante : même si la Cour devait confirmer l’irrégularité de la procédure d’attribution, le SGA lui demande de ne pas en tenir compte et de confirmer malgré tout cette attribution, compte tenu de l’intérêt général. En résumé, même si l’Etat a fait n’importe quoi, nécessité fait loi, argumente le SGA, qui demande donc la confirmation de l’attribution à AVICO. Une position contestable à plus d’un titre.

Des questions autour d’AVICO

AVICO est en effet sans conteste un affréteur expérimenté, mais très peu dans le domaine militaire. La société de Mourad Majoul peut au mieux se prévaloir d’avoir participer à l’acheminement de troupes par voie aérienne dans le cadre de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire au début des années 2000.

Or les types d’affrètement visés par le contrat en question sont particulier à plus d’un titre, qu’il s’agisse des avions (des Antonov qu’il faut pouvoir aller chercher en Russie ou en Ukraine pour les matériels les plus lourds), du fret (des hommes mais aussi des blindés, des hélicoptères et de munitions) ou des destinations (des zones d’opérations où n’existent parfois plus aucune infrastructure aéroportuaire hormis la piste). Ajoutons à cela des conditions de sécurité parfois rocambolesques, avec potentiellement quelques trous dans la carlingue à l’arrivée, des équipages ex-Pacte de Varsovie, et des préavis souvent réduits au strict minimum, on se fera une idée assez fidèle de ce que représente réellement le métier d’affréteur pour le compte des militaires. En la matière, si les capacités d’adaptations et d’improvisation sont clés, il n’y a pas de place pour l’amateurisme.

Certes, AVICO s’est associé à l’anglais Chapman Freeborn, considéré comme l’un des leaders mondiaux de l’affrètement. Mais depuis octobre 2019, Chapman Freeborn est passée sous la coupe d’Avia Solutions, une société lithuanienne dont le siège est situé à Chypre. Chasser les pays de l’Est par la porte, ils reviennent par la fenêtre : depuis le début de cette affaire est pourtant soulignée la trop grande dépendance de la France vis-à-vis de pays étrangers. Sont visés en particulier certains pays de l’Est. De plus, entre le contrat SALIS dont l’agence gestionnaire de l’OTAN est basée au Luxembourg, et Avia Solutions à Chypre, les prestataires semblent affectionner les paradis fiscaux. Un comble quand on se souvient que le précédent contrat avec ICS a précisément été accusé de manque de transparence sur les prix.

Inquiétudes des militaires

ICS s’est depuis expliqué sur ses tarifs et bien que le PNF se soit saisi pour traiter de l’affaire dès 2017, aucune mise en examen n’a encore été prononcée. Le PNF reste étrangement silencieux sur le fond de l’affaire. Entre les lettres d’un corbeau qui pourrait être un concurrent, et les approximations de l’audit de la Cour des Comptes, approximations reprises et amplifiées par le député François Cornut-Gentille, l’affaire a finalement toutes les raisons de se dégonfler aujourd’hui, en particulier sur le fondement d’un constat aujourd’hui largement partagé : la mise en cause de l’ancien titulaire du contrat sur le seul critère « prix de l’heure de vol » ne tenait pas la route, personne n’étant en mesure de dire ce que coûte réellement l’heure de vol SALIS. Seuls les militaires admettent aujourd’hui que le recours privilégié au contrat SALIS pendant la période récente a fait exploser la facture… Cherchez l’erreur.

Mais l’histoire a fait deux « victimes » : ICS, une PME française, et les Armées françaises, qui depuis trois ans, paient au prix fort des prestations de transport qui ne donne pas entière satisfaction. La solution ICS avait peut-être des défauts, mais la PME dirigée par Philippe de Jonquières a rempli 100% du contrat, à la fois lors du désengagement d’Afghanistan mais aussi lors des premiers déploiements de matériels français au Sahel. Le recours à ICS apparaît aujourd’hui comme ayant été la moins mauvaise des solutions, à défaut de moyens patrimoniaux dont les Armées se contenteront encore longtemps de rêver. Les militaires ont toujours salué la réactivité et l’efficacité de cette solution franco-française, capable de mobiliser quasiment l’intégralité du parc d’avions gros porteurs. C'est bien d'ailleurs pour éviter le recours au contrat SALIS, à l'époque surtout "trusté" par les Russes de Volga-Dnepr, que les armées ont imaginé le contrat ayant finalement atterri entre les mains d'ICS. A défaut, aujourd’hui, le MINARM et le SGA semblent surtout pressés de trouver n’importe quelle solution pour en finir avec une histoire qui n'a pourtant pas dit son dernier mot. 


Diplômé d'une licence histoires militaires et études de défense, suivi d’un master en relations internationales, réserviste pour les armées, Hugo Fournier a fait ses premières armes professionnelles dans le secteur de l'industrie de défense. 



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