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MERS D’ASIE DU SUD-EST, Coopérations, intégration et sécurité




Publié par Romain Lambert le 10 Avril 2019



Vous venez de publier le livre "Mers d'Asie du Sud-Est. Coopérations, intégration et sécurité", dans quel contexte s’inscrit-il et à quel public vous adressez-vous en priorité ?
 
A l’origine de ce livre, le constat qu’en France les mers d’Asie du Sud-Est se retrouvent trop souvent résumées aux différends maritimes en mer de Chine méridionale entre la Chine, le Viêt Nam, les Philippines, la Malaisie, le Brunei et Taiwan. Or, la grille de lecture conflictuelle est loin de tout expliquer. Tout d’abord, nous avons voulu l’emploi du pluriel, il existe de très nombreuses mers dans la région. Le livre ne se focalise pas uniquement sur la mer de Chine méridionale mais également sur la mer de Sulu-Sulawesi, de Timor et d’Arafura, le golfe du Tonkin, le détroit de Malacca, de Makassar  ou de Balabac. 25 cartes originales ont été préparées par un atelier de cartographie de l’université Paris-Diderot pour aider le lecteur à s’y retrouver dans cette géographie complexe. Par ailleurs, cet ouvrage associe des collègues asiatiques à des chercheurs français qui ont tous vécus, et certains vivent encore, en Asie du Sud Est. En une période de multiplications des discours géopolitiques et géostratégiques, souvent davantage performatifs que le reflet de la réalité, ces contributions, privilégiant une approche au plus près de leur terrain d’étude, permettent de changer les perspectives d’analyse. 
 
Si vous deviez exprimer en quelques mots les enjeux qui définissent cette région, que diriez-vous ? 

Du fait de sa situation exceptionnelle entre deux océans, Pacifique et Indien, et deux continents, Asie et Australie, l’Asie du Sud-Est est une région à dominante maritime. Or, les mutations économiques opérées depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et la redéfinition du droit de la mer, notamment lors de la Convention de Montego Bay de 1982, ont changé la nature des enjeux maritimes de cette région. De lien entre les populations riveraines, la mer est devenue un espace de tensions et de conflits : conflits pour la délimitation de nouvelles frontières, pour l’exploitation des eaux, des fonds et du sous-sol (ressources halieutiques, réserves d’hydrocarbures, minerais), contentieux sur la définition du principe de « liberté des mers » ou encore compétitions accrus entre les ports. Par ailleurs, cette région devrait être particulièrement affectée par le réchauffement climatique et la montée des eaux : salinisation des terres empêchant la riziculture, inondation de régions deltaïques densément peuplées, érosions côtières, accélération de la destruction des écosystèmes marins et diminution des ressources halieutiques. C’est dans ce contexte, que la notion de « sécurité environnementale » a émergé : les menaces ne sont plus seulement militaires car les dégradations environnementales risquent de déclencher une crise sociale et de nouveaux conflits. Le dernier enjeu pour cette région est le poids des puissances extérieures, notamment de la Chine et des Etats-Unis, dans la gestion de ces espaces maritimes. 
 
Il nous a semblé cependant important de rappeler à nos lecteur qu’en dépit de ces tensions et de ces litiges frontaliers, les pays d’Asie du Sud-est, avec ou sans la Chine, coopèrent de plus en plus. Des menaces et des intérêts communs, une intégration économique croissante et le droit maritime international, les poussent à élaborer de nouveaux canaux de dialogue et de nouvelles formes de coopération. En Asie, l’action diplomatique connaît une mutation et devient ce qu’il est convenu d’appeler une « diplomatie de la coopération ». Elle est à l’origine depuis quelques années de nombreuses initiatives en matière de coopération sectorielles sur des territoires, maritimes essentiellement, là où la diplomatie traditionnelle n’a plus réellement d’effet. On en trouve dans tous les secteurs, celui de la pêche et des hydrocarbures, mais aussi dans le domaine de la sécurité et surtout en matière d’environnement. C’est dans ce sens que la « diplomatie de la coopération » finit par s’ajuster sur la diplomatie traditionnelle. Ces nouveaux canaux de discussions ne remplacent pas la diplomatie traditionnelle des États, mais ils ouvrent des espaces de dialogue complémentaires, souvent plus souples qui permettent aux gouvernements d’œuvrer à un niveau différent, avec des objectifs différents. 
 
 
Quel apport particulier/regard différent, estimez-vous apporter au sujet traité ? 

Mettre les espaces maritimes au cœur d’une analyse sur l’Asie du Sud-est contemporaine est déjà un changement de perspectives dans l’étude de cet ensemble régional. L’objectif de ce livre est également d’analyser de façon critique les projets de coopérations en œuvre dans cette région. Comment s’effectuent ces coopérations ? A quelles échelles ? Avec quels acteurs ? A partir de l’ensemble des articles de ce livre, il est possible de faire émerger trois points majeurs : la difficulté à mettre en place une politique de coopération maritime à l’échelle de l’ASEAN, la multiplication des initiatives de coopérations infrarégionales et transnationales, souvent plus efficaces, et enfin le poids déterminant de la Chine dans la possible réalisation des projets de coopération dans les mers d’Asie du Sud-est. Une des approches privilégiées dans ce livre concerne notamment l’analyse des initiatives infrarégionales et du minilatéralisme qui ont progressivement pris le pas sur le multilatéralisme. Davantage opérationnelles  et flexibles, elles se regroupent en trois grands types : les initiatives de coopérations militaires (lutte commune contre la piraterie et le terrorisme, exercices conjoints entre les polices maritimes et les garde-côtes), les accords d’exploitation commune des ressources naturelles transfrontalières (ressources halieutiques du Golfe du Tonkin ou pétrole offshore en mer de Timor) et enfin les programmes de protection de l’environnement (Grands Paysages Marins des mers de Sulu et Sulawesi, Initiative du Triangle de Corail ou encore gestion environnementale commune du détroit de Malacca).
 
Ainsi, si ce livre n’est pas directement axé sur les conflits dans les Mers d’Asie du Sud-est, il ne cherche pas néanmoins à passer sous silence les nombreuses tensions. Les projets de coopérations sont de plus en nombreux, mais leur durabilité n’est jamais certaine tant les priorités nationales sont omniprésentes, les différences de niveau économique importantes et les situations d’asymétries entre la Chine et les pays d’Asie du Sud-est prégnantes. Face à ces nombreux blocages, nous montrons que le développement d’une coopération axée sur la préservation et la protection de  l’environnement est de plus en plus régulièrement avancée par les dirigeants asiatiques : les questions environnementales sont davantage consensuelles et plus favorables à l’indentification d’un plus petit dénominateur commun.
 
Avez-vous d’autres projets en cours, un rendez-vous à donner à vos lecteurs ? 
 
Au-delà des projets individuels sur lesquels nous travaillons chacun de notre côté, un ouvrage intitulé Vietnamiens aux Ateliers Henry Dougier pour Benoit de Tréglodé et un manuel de géographie sur l’Asie du Sud-Est chez Armand Colin pour Nathalie Fau (avec Manuelle Franck de l'INALCO), ce livre a déjà donné lieu à une prolongation de nos travaux sur cette région. La revue Hérodote nous a commandé un numéro intitulé "Géopolitique de l’Asie du Sud-Est" à paraître début 2020, il s’agit du premier numéro thématique depuis 1981 consacré à une région en prise à de nouveau défis : retour de la Chine dans les affaires régionales, augmentation des flux illicites et des migrations illégales mais aussi dégradation rapide de l’environnement et réchauffement climatique. 


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