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La 5G, Huawei, et le gouvernement américain : un jeu géopolitique




Publié par Adrienne Lima le 12 Avril 2019

On dit que celui qui est en tête de la course pour contrôler le marché de la 5G va dominer le monde de demain.(1) Cette menace pèse lourd dans le rapport Washington — Pékin, déjà historiquement tendu, à travers l’affaire de Huawei, le groupe chinois, géant des télécoms. En 2012, le Sénat américain a pointé des failles de sécurité liées aux appareils Huawei. Les autorités américaines ont estimé que les infrastructures 5G de Huwaei pouvaient comporter de nombreuses portes dérobées (« backdoors »), permettant aux services de Renseignement chinois d’accéder à des données privées de citoyens américains.(2) Alors que ce rapport a postulé que le groupe chinois était « une menace pour la sécurité des États-Unis », elles n’ont pas fourni beaucoup de preuves substantielles de ces accusations.(3)



2018 : Escalade des tensions  
 
En début de 2018, les efforts de l’État américain pour affaiblir le pouvoir chinois se sont multipliés. En mars 2018, les grands opérateurs téléphoniques américains (Best Buy, AT&T, Verizon), en réponse à la pression politique de Washington, ont décidé de ne pas commercialiser les téléphones portables ou autres produits de la marque Huawei.(4) Par conséquent, Huawei a décidé de mettre fin à la mise sur le marché américain de son dernier téléphone portable, le Mate 10 Pro. Puis en août 2018, une promulgation du Defense Authorization Act a interdit aux agences gouvernementales américaines, ou à toute personne ou structure voulant travailler avec le gouvernement américain, d’utiliser les appareils de Huawei ainsi que d’autres entreprises chinoises.(5) Les produits de Huawei ont été alors officiellement bloqués sur le marché américain.
 
Contagion anglo-saxonne  
 
Plusieurs d’autres pays anglo-saxons ont pris exemple sur les États-Unis, dont le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, et le Canada, qui ont émis des déclarations de suspicion contre Huawei. Le 23 août, l’Australie a annoncé l’interdiction de Huawei pour le déploiement de son réseau 5G en raison de risque d’espionnage. Ensuite en octobre, le Royaume-Uni a lancé une enquête pour examiner si le pays était « trop dépendent » d’un seul fournisseur de télécoms.(6) Étant donné que la majorité des opérateurs internet anglais utilise des infrastructures Huawei, le groupe chinois était clairement visé par cette initiative. Quelques mois plus tard en novembre, la Nouvelle-Zélande a interdit à l’opérateur historique du pays, Spark, de se fournir auprès de Hawei, en expliquant des problèmes de sécurité lies à la technologie 5G.(7)
En quelques mois, et sous l’impulsion de l’État américain, le pouvoir du géant chinois a été considérablement diminué sur les principaux marchés industrialisés. En effet, les autorités australiennes, tout comme leurs amis américains, ont fait référence à l’article 7 de la Loi sur le renseignement national chinois de 2017, selon laquelle toutes les entreprises chinoises doivent coopérer avec les services de renseignement chinois. Huawei a répondu en niant représenter les intérêts de l’État chinois.(8)
 
Des dynamiques géopolitiques en jeu 
 
Cette affaire alors remet en question le rôle des intérêts géopolitiques dans les affaires économiques sino-américaines. Le 23 novembre 2018, le Wall Street Journal a publié un éditorial accusant le gouvernement américain de mener une campagne auprès de ses alliés pour déstabiliser la société chinoise.(9) Dans un entretien   au Journal du Dimanche du 24 novembre, le PDG de Huawei France, a tenté de rassurer ses clients européens: « Nous travaillons depuis plus de dix ans en Allemagne et nous n’avons jamais eu le moindre problème, tout comme dans les 170 pays où nous sommes installés. Ces soupçons non fondés surviennent dans un climat de tensions commerciales et géopolitiques ».(10)
Il est donc difficile à démêler les intérêts de sécurité nationale des intérêts économiques chez les Américains. En effet, les accusations de la part des États-Unis coïncident avec les premiers lancements des réseaux 5G dans le monde entier (octobre 2018 aux États-Unis, 2019 en Chine, et à l’horizon 2025 en Europe).(11) Un rapport   du Sénat américain du 15 novembre a dédié un chapitre entier à la domination chinoise sur le marché mondial de la 5G. Selon le rapport, « le gouvernement chinois cherche à dépasser les États-Unis dans ces industries pour gagner une part plus importante des bénéfices économiques et de l’innovation technologique ».(12) Le marché de la 5G devient désormais un nouveau terrain de guerre économique.
 
Le cas de l’ extradition de la directrice financière Huawei, Meng Wanzhang
 
Les tensions Huwaei — Washington ont atteint un nouveau sommet en 2018, quand le 1er décembre, la directrice financière Huawei, Meng Wanzhang, est arrêtée, sur requête des États-Unis, à l’aéroport de Vancouver au Canada. Meng Wanzhang, qui est aussi la fille du patron de Huawei, a risqué l’extradition aux États-Unis. Elle a été accusée d’avoir violé les sanctions internationales contre l’Iran, par le biais de la filiale Skycom.(13)
 
Mars 2019 : Huawei porte plainte contre le gouvernement américain

Le 10 mars 2019, Huawei a déposé plainte contre le gouvernement américain devant le tribunal du Texas à l’encontre de l’administration Trump. Selon eux, les mesures de l’administration Trump d’interdire à ses agences fédérales d’utiliser des appareils de la marque sont contraires à la constitution américaine, et entreraient dans le cadre des bills of attainder (punir sans procès).(14)
 
Il est clair que les décisions de Washington exercent une influence majeure sur les actions de ses alliés occidentaux, malgré le fait que le gouvernement américain n’ait jamais fourni des preuves concrètes étayant ses accusations. Néanmoins, quelle que soit l’intention de Huawei, il est presque impossible d’imaginer une entreprise chinoise qui vise à conquérir le marché international sans l’influence de Pékin.
 
 
 
(1) Maniére, Piere. “Télécoms : course de vitesse pour déployer la 5G en Europe”, 2019.
https://www.latribune.fr/technos-medias/telecoms/telecoms-course-de-vitesse-pour-deployer-la-5g-en-europe-804043.html
(2) Lugo, Nicole. “La guerre sino-américaine des télécoms : l’étau se resserre sur Huawei” (2018). https://portail-ie.fr/analysis/2011/la-guerre-sino-americaine-des-telecoms-letau-se-resserre-sur-huawei
(3) https://intelligence.house.gov/sites/intelligence.house.gov/files/documents/huawei-zte%20investigative%20report%20(final).pdf
(4) Cheng, Robert CNet “Huawei dealt a blow, loses Best Buy as retail partner” (le 22 mars, 2018). https://www.cnet.com/news/huawei-dealt-blow-loses-best-buy-as-smartphone-laptop-smartwatch-retailer/    
(5) https://www.congress.gov/bill/115th-congress/house-bill/5515/text#toc-H4350A53097BD46409287451A50C4F397
(6) https://www.wsj.com/articles/huawei-still-big-in-britain-faces-new-scrutiny-1541518452
(7) https://www.nextinpact.com/brief/5g---la-nouvelle-zelande-ne-veut-pas-de-huawei-6815.htm
(8) https://infoguerre.fr/2018/11/confrontation-entre-groupe-chinois-huawei-laustralie/
(9) https://www.wsj.com/articles/washington-asks-allies-to-drop-huawei-1542965105
(10) https://www.lejdd.fr/Economie/Entreprises/exclusif-le-patron-de-huawei-france-reagit-aux-menaces-de-boycott-3807431
(11) https://www.lesechos.fr/29/09/2018/lesechos.fr/0302323350916_la-course-au-leadership-mondial-pour-la-5g-est-lancee.htm
(12) https://www.uscc.gov/sites/default/files/annual_reports/Executive%20Summary%202018%20Annual%20Report%20to%20Congress.pdf  
(13) https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1140443/huawei-comparution-liberte-fraude-arrestation-vancouver
(14) https://www.journaldugeek.com/2019/03/10/huawei-porte-plainte-contre-etats-unis/

 
 


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