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Des Leclerc pour le Mali ?




Publié par Pierre-Marie Meunier le 17 Janvier 2013

Dans le petit milieu des blogs portant sur les questions de défense commence à se poser la question d’un déploiement de chars Leclerc au Mali. Outre le symbole de détermination dont cet envoi serait la démonstration, ce déploiement permettrait de pallier à certaines lacunes capacitaires des moyens actuellement engagés sur place. Et nul doute que nos Cuirassiers et Chasseurs appuieront une telle initiative de toutes leurs forces. Comme en toute chose, cette question fait l’objet d’un questionnement du rapport coût-opportunité, le coût englobant ici le coût matériel, technique, humain, mais aussi les délais et les risques à venir pour les engins.



Des Leclerc pour le Mali ?
La France envisage à terme le déploiement de deux GTIA (Groupement Tactique Inter Armes) au Mali, un GTIA étant composé de quatre sous-GTIA, du volume d’une compagnie ou d’un escadron (chacun(e) comptant entre une quinzaine et une trentaine de véhicules pour environ une centaine de combattants). Au Mali, vont très certainement être déployés des GTIA à dominante infanterie, composés donc de trois compagnies d’infanterie et un escadron de cavalerie. A défaut d’autres choses, ce seront vraisemblablement deux escadrons d’ERC-90 Sagaie et 6 compagnies d’infanterie sur VAB qui armeront les 2 GTIA. Sans évoquer pour l’instant la question du remplacement du VAB par des VBCI, certains envisagent la possibilité de remplacer les Sagaie par des Leclerc.

Soyons tout de suite très clair, le Leclerc est une formidable machine de guerre, qui réussit à combiner puissance de feu, protection et mobilité, quadrature du cercle à résoudre pour les chars de combat. Armé d’un canon de 120mm à âme lisse (et d’une mitrailleuse de 12,7mm en armement secondaire), il est crédité d’une probabilité de coup au but de plus de 90% à 50 km/h sur cible mobile par le travers (soit à neuf heures ou a trois heures par rapport à l’axe du char). Tous les chars contemporains disposent de canon stabilisé en site et en gisement par rapport au châssis (i.e. le canon compense les mouvements de la plateforme porteuse), et tous peuvent tirer en mouvement. Mais très peu disposent d’un canon stabilisé sur la cible elle-même (K-2 coréen ? Type-10 japonais ?). Le système de chargement automatique des obus, qui limite l’équipage à trois hommes, permet de traiter jusqu’à six cibles en une minute. Pour avoir essayé, nous pouvons confirmer la très grande précision de l’ensemble. Associée à la conduite de tir, le Leclerc dispose de tout une suite de capteurs IL et IR de très grande qualité, avec des portées de détection de l’ordre de 5000 mètres. Très compact, le Leclerc utilise des blindages composites amovibles aptes à encaisser des obus flèches de 120 ou 125mm (sur l’arc frontal) ou des charges creuses de même calibre. La répartition des masses de blindage, compte tenu de son gabarit, en fait l’un des chars les mieux blindés de sa génération (avec le Merkava et le Léopard-2 à partir du standard A5). Concernant sa mobilité, on rappellera simplement la célèbre vidéo (http://www.youtube.com/watch?v=I5l1-CUsbAI) d’un Leclerc laissant une Porsche sur place (certes au démarrage uniquement…).

Bref, techniquement, les capacités de la machine ne posent aucun problème. L’armée de terre a même du revoir une partie de sa doctrine lorsque le Leclerc est entré en service, car il a introduit le concept d’appui en mouvement : avec sa capacité de tir move-to-move, le Leclerc permet pour la première fois de mener toutes les phases de combat en mouvement (déplacement, acquisition, destruction).
En fait ce sont les capacités mêmes de la machine qui rendent son emploi au Mali discutable : le Leclerc est une arme de choc et de rupture, conçue pour percer un front ou mener des raids blindés dans la profondeur du dispositif ennemi. C’est maintenant que le Leclerc serait utile au Mali, pas dans quelques semaines ou quelques mois, lorsque les missions des forces régulières sur place s’orienteront vers du contrôle de zone. Le Leclerc est une arme destinée à entrer en premier sur un théâtre non permissif. Contrairement à l’Afghanistan, où les AMX-10 RCR avaient un rôle d’appui, le Mali se prête bien à ce type d’engagement. Mais il est déjà trop tard pour envisager cela, sauf dans l’hypothèse de l’établissement sur la durée d’un véritable front.

Considérations logistiques ensuite, puisque l’argent reste le nerf de la guerre. Pour acheminer par avion sur place au moins un escadron de Leclerc, soit 13 chars, c’est 7 rotations de C-5 ou d’AN-124, ou 14 de C-17. Mais cela inclut juste les chars, il faut y ajouter les pièces détachées les outils de maintenance, les munitions… Cela reviendrait beaucoup moins cher en bateau, mais ce serait plus long. Une fois sur place, rappelons qu’un réservoir de Leclerc, c’est 1500 litres de carburant pour une autonomie de 600 km, voire 300 ou 400 km maximum dans le sable. En 2008, avant le renforcement de l’Afghanistan, l’OPEX la plus chère de toute était le Liban, essentiellement du fait des 13 Leclerc déployés là-bas. L’expérience a quelque peu échaudé les comptables du ministère de la défense. Ajoutons à cela le fait qu’un char, ce n’est pas forcément bon pour l’image auprès des populations : dans des pays où les routes sont une véritable richesse, il ne serait pas de bon ton de les abimer.

Le Leclerc est un outil extraordinaire, qui reste parmi les meilleurs chars de combat au monde. Son seul défaut, par rapport à ses concurrents, est de n’avoir pas réellement évolué avec le temps. Mais ses capacités en font toujours l’instrument idéal de l’avant-garde. Envoyer des Leclerc là-bas, avec une arrivée sur place tardive, c’est prendre le risque de sous-employer un instrument cher à l’usage et d’offrir des cibles à très haute valeur symbolique, si le combat devient un jour une lutte de contre-insurrection. Plus le temps passe, et moins le risque en vaut la peine.



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