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Budget de défense : la grande braderie française ?




Publié par Pierre-Marie Meunier le 16 Avril 2013

Le nouveau Livre Blanc n’est pas encore sorti que déjà les inquiétudes sont vives concernant le budget de la défense. Avec des capacités déjà jugées « juste insuffisantes » par le Sénat (1) il y a de cela près d’un an, les armées s’inquiètent de devoir à nouveau servir, en silence, de victime expiatoire à Bercy. Dans son intervention du 28 mars, le Président de la République a réaffirmé sa volonté de préserver, dans la mesure des efforts partagés, le budget de la défense, mais sans véritablement rassurer les militaires et les parlementaires préoccupés par un possible déclassement du pays sur la scène internationale.



L'opération Serval va-t-elle être le chant du cygne des opérations extérieures françaises et d'une "certaine idée de la France" dans le monde ? (crédit : ECPAD)
L'opération Serval va-t-elle être le chant du cygne des opérations extérieures françaises et d'une "certaine idée de la France" dans le monde ? (crédit : ECPAD)
Des trains de réformes encore difficiles à absorber

Les militaires ont beaucoup de défauts, mais contrairement à certains de nos hommes politiques, ils ont de la mémoire. Et il n’est nul besoin d’être un ancien pour se rappeler que l’armée est passée à travers plusieurs réformes successives qui ont laissé des marques. Depuis 1996, la France a connu la professionnalisation, la fonte des ses effectifs, les déménagements et l’embasement. En parallèle, elle est passée d’un format de guerre froide aux missions de maintien de la paix, puis au combat contre-insurrectionnel. Le bilan n’a pas à faire rougir les militaires, bien au contraire, et l’opération Serval est là pour rappeler, si besoin est, l’excellence du savoir-faire tactique et opératif de l’armée française (la définition de la stratégie pouvant être considérée comme du ressort du pouvoir politique). Plus qu’aucun autre, le Ministère de la Défense a payé son écot sur l’autel de la RGPP, pour les réformes les plus récentes.

Quel autre ministère aurait été capable de mener trois réformes de front en supprimant des dizaines de milliers de postes et en poursuivant ses missions aux quatre coins du monde ? Inutile de chercher une réponse trop longtemps, mais si on souhaite se faire peur, on peut s’interroger sur les conséquences sociales d’un tel scénario, s’il avait été imposé par exemple à l’Education nationale. Cela aurait été une erreur naturellement, car l’Education nationale, comme l’Intérieur, la Défense ou le secteur de la Santé, nécessitent des personnels en nombre. Les réductions homothétiques ne fonctionnent que sur le papier des technocrates de Bercy, dont le format n’a lui pas véritablement subit les outrages imposés aux autres. Mais il est vrai que le Ministère de la Défense est le seul où sont identifiées des marges de manœuvres financières : réduire la commande de 300 à 225 Rafales (2) et aussitôt ce sont des milliards qui sont économisés…En théorie, car l’étalement des commandes induit, pour que l’industriel conserve un plan de charge sur la même période, a tendance à faire grimper les coûts. Et puis cela a des conséquences immédiates sur l’emploi et sur les PME en sous-traitance. Ces solutions n’en sont que pour Bercy, qui, il faut l’avouer, a tout de même la charge d’une mission particulièrement ingrate.

Un contexte international noué d’incertitudes

La réduction de notre armée au format de l’armée d’armistice (100 000 hommes environ dans les années 1940) n’est pas pour tout de suite, mais on s’en rapproche dangereusement. Certes la comparaison est biaisée, et le contexte d’aujourd’hui n’est pas celui de l’époque. La probabilité d’une guerre à nos frontières est quasi-nulle à horizon de 30 ans, mais personne ne peut prédire plus loin. En conjuguant cet état de fait à la suspension du service militaire, il n’est pas étonnant de voir une population française se désintéresser de la question militaire, de même qu’une partie de nos hommes politiques. Entre idéologie partisane et ignorance irresponsable, bien peu de nos représentants sont aujourd’hui à même de défendre l’institution militaire, alors que notre environnement n’a jamais été aussi incertain. Depuis 30 ans le budget des armées n’a cessé de baisser (3), mais il y a un an de cela, personne n’aurait parié sur l’hypothèse d’un déploiement français au Mali. Personne ne sait dire non plus où vont nous mener les rodomontades de la Corée du Nord, même si pour le coup, ce sont les Etats-Unis qui vont se retrouver en première ligne, aux côtés des Coréens du Sud et des Japonais. Quelle serait la réaction chinoise face à une telle éventualité ? Nos engagements Otaniens vont-ils nous ramener vers les théâtres d’Extrême-Orient ? Personne n’a la réponse, mais toutes les hypothèses sont sur la table.

Quelle vision pour la France dans le concert des Nations ?

Certains nous promettaient de « ré-enchanter le rêve français ». La Défense n’en demande peut être pas tant. La perspective des scénarii catastrophiques pour les armées (4) semblent s’éloigner, mais pour combien de temps (5) ? Alors que tout le monde semble respirer dans les couloirs de l’hôtel de Brienne, Bercy vient de rappeler en catimini que ce qui a été accordé « en plus » par rapport à ses exigences, devra provenir de « recettes exceptionnelles », les fameuses REX (6). La Défense ne se fait pas d’illusion, qu’il s’agisse de la vente de fréquences ou des biens immobiliers de la Défense, les recettes ont toujours été très inférieures aux estimations du MINFIN (7).

Quel que soit le résultat des arbitrages en cours, il est assez curieux qu’ils aient lieu avant même la parution du futur Livre Blanc. C’est ce dernier qui définira ce que sera la posture stratégique de la France pour au moins les cinq années à venir. A partir de là sera déclinée la future Loi de Programmation Militaire qui précisera alors les conséquences du Livre Blanc en termes d’investissements et de choix d’équipements. Cela devrait déjà donner une idée de la place que pourra occuper la France sur la scène internationale, parmi une Europe qui a abandonné la question de sa défense sur les autels des intérêts nationaux. La Grande-Bretagne, qui préfigure ce que pourrait être notre défense dans deux ans, doit nous servir de repoussoir : évitons la tentation d’un déclassement militaire qui ne règlera pas, loin s’en faut, la question des déficits budgétaires.
 
  1. « Budget de la défense: les lobbies au front », Le Temps.ch, 16 avril 2013
  2. « Bercy/Défense et livre blanc : la demi-victoire budgétaire des militaires et de l'industrie de l'armement », Challenge.fr , 04 avril 2013
  3. « Le budget français de la défense est-il en baisse depuis trente ans ? », Le Monde.fr , 28 mars 2013
  4. « Le Budget entre en guerre contre les dépenses militaires », Libération.fr , 20 mars 2013
  5. « Budget défense: «Cessons de nous faire peur avec des scénarios catastrophe» », Libération.fr , 28 mars 2013
  6. « Budget de la défense : ce n'est pas l'apocalypse, mais ce n'est pas le Pérou », Le Point.fr , 31 mars 2013
  7. « Défense : comment Bercy a embobiné François Hollande sur le budget des armées », La Tribune.fr , 15 avril 2013



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