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"Remakes d’Automne: 18 Brumaire à Riyad & Macron-Bonaparte dans le Golfe." Entretien avec Jacques Borde 1/2




Publié par Alexandre Perrault le 17 Novembre 2017

Pour une fois, même s’il en a ramené une salvatrice pluie de pétrodollars, ça n’est pas la virée de Donald J. Trump dans le Golfe Persique qui aura le plus marqué les esprits. En fait, les deux stars géopolitiques de la semaine passée sont : 1- le ministre séoudien de la Défense (& désormais successeur du roi Salmān) Mohamed MBS Ibn-Salmān Āl-Séʻūd ; 2- le président français, Emmanuel Macron. Le premier imposant sa marque au royaume & le second, tentant de poser les fondement d’une diplomatie – qu’on espère, enfin, indépendante – vis-à-vis de l’Orient compliqué. 1ère Partie.



| Q. Désolé d’être aussi pragmatique, mais ramenons-nous quelque-chose de palpable du périple d’Emmanuel Macron dans le Golfe 

Jacques Borde. Oui, rassurez-vous. Les Émirats arabes unis (EAU) vont nous prendre deux corvettes Gowind, de Naval Group, l’ex-DCNS. Un projet d’acquisition assorti d’une option pour deux bâtiments supplémentaires. L’annonce en a été faite par Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse.

« Nous sommes fiers que les autorités des Émirats arabes unis aient sélectionné les corvettes Gowind de Naval Group. Avec notre partenaire industriel émirien ADSB, les discussions vont maintenant se poursuivre avec les Forces armées pour nous permettre de finaliser le contrat relatif à cette acquisition. Ces corvettes Gowind sont des navires de combat de dernière génération, polyvalents, et adaptés pour répondre aux besoins de la marine des Émirats arabes unis », a expliqué, de son côté, le pdg de Naval Group, Hervé Guillou.

« Cette décision renforce encore le partenariat stratégique et militaire entre la France et les Émirats arabes unis et constitue un nouveau succès à l’export pour la France », a noté, quant à elle, la ministre des Armées, Florence Parly.

Emmanuel Macron n’a donné aucun détail sur l’accord ni son montant, mais il est à rappeler que Naval Group tenait, et tient toujours, la corde face à ses concurrents.


 

| Q. Pourquoi cette commande ?

Jacques Borde. Pour trois raisons, en fait.

Comme l’a écrit Michel Cabirol, « Abu Dhabi a exprimé un vif intérêt pour ce type de corvettes de haute mer et lourdement armée dans un contexte régional tendu non seulement avec l’Iran mais également avec la Turquie, qui a installé sa première base militaire en Afrique (près de Mogadiscio en Somalie). Déjà en guerre contre les Houthis au Yémen, les EAU semblent également très soucieux de défendre l’accès du Détroit de Bab-el-Mandeb ‘gardé’ par Aden et Mogadiscio. C’est d’ailleurs également l’une des priorités de l’Égypte, l’allié des EAU ».

Bon, évidemment, nous ne sommes pas au niveau des milliards de dollars ramenés par Donald J. Trump, mais nous n’allons pas nous plaindre…


 

| Q. Plus généralement, quid des propos successives d’Emmanuel Macron tenus dans le Golfe ?

Jacques Borde. Intéressants, mais souvent trop génériques, je dirais. Je ne sais ce qu’il peut y avoir d’inclusif (sic) quant à ce qui se passe en Syrie et en Irak et ce nous y faisons et avons bien pu y faire.

Quant à la Syrie, plus précisément, je note surtout, Raqqa or not Raqqa, que le régime de Paris (sic) n’a, officiellement, rien à y faire, n’y étant en rien invité par le régime de Damas (sic) qui est, que cela plaise ou non à certains, l’autorité légale de ce pays. Et, là, je ne vous parle pas du soutien que nous avons pu accorder à des groupes comme Jabhat an-Nusrah li-Ahl ach-Chām. À propos de qui Laurent Fabius disait qu’ils faisaient du « bon travail ».


 

| Q. Alors, en ce cas, selon vous, sommes-nous toujours l’ami du monde arabe ?

Jacques Borde. Oui et non.

Non, parce qu’à l’évidence, et en dépit de l’existence d’usines à gaz comme la Ligue arabe, le Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCEAG), plus quelques autres machins que j’oublie, le monde arabe a cessé d’exister en tant qu‘entité géopolitique.

Quant à l’Organisation de la coopération islamique (OCI), elle déborde largement du monde arabe.

Oui, car ce que nous sommes sans hésiter c’est bien les amis de plusieurs pays arabes, arabo-musulmans (sans parle de pays musulmans non-arabes). D’ailleurs par toujours nécessairement amis entre eux, c’est le moins qu’on puisse dire…


 

| Q. Qu’entendez-vous par là ?

Jacques Borde. Qu’en cette mi- novembre 2017, nous sommes – ou essayons d’être, et ce par tous les moyens possibles – les amis de l’Arabie Séoudite [sic], des Émirats arabes unies, de l’Égypte. Mais, car il y a un mais, « s’immiscer dans des affaires intrarégionales », pour reprendre une des phrases d’Emmanuel Macron, semble encore être la vulgate de nos administrations successives. En Irak et en Syrie notamment.

Donc aussi non.


 

| Q. Vous mettez l’Irak et la Syrie sur le même plan ?

Jacques Borde. Pratiquement. Je vous explique pourquoi.

Primo, concernant la Syrie, vous aurez noté que :

1- le président syrien, le Dr. Bachar el-Assad, a dit et répété la défiance qui était la sienne et celle de son administration à notre égard.
2- en dépit des nos gesticulations, nous ne sommes toujours pas associés aux pourparlers dits d’Astana. De là à dire que nos exploits aéroterrestres ne sont peut-être pas aussi remarquables que le laisse entre le
discours élyséen…

En un mot comme en cent nous ne sommes donc résolument pas les amis de la Syrie. Sauf à considérer comme représentants de ce ce pays quelques groupuscules d’opposition armée tenus à Bagdad, Damas, Moscou et Téhéran (et généralement au Caire également) pour des terroristes takfirî.

Secundo, concernant l’Irak, il est à noter que bien que l’administration Maliki ne tienne pas à l’égard de la France des propos aussi tranchés que le président syrien :

1- Bagdad ne nous associe à aucun de ses pourparlers sérieux avec qui que ce soit. Nous prêtons nos bras, où plutôt nos ailes, aux forces syriennes. Mais, au-delà, pas de quoi pavoiser.
2- l’administration irakienne, lorsqu’elle écoute quelqu’un tend plus l’oreille en direction de Moscou ou de Washington.
3- l’Irak, géostratégiquement, a quand même ses deux pieds ancrés dans l’
arc chî’îte, l’alliance politico-militaire conduite par l’Iran voisin.


 

| Q. Nous avons fait le tour ?

Jacques Borde. Non pas encore, hélas.

Restent encore deux de nos plus anciens amis arabes : le Liban et le Yémen. Nos liens étaient jadis très fort avec ces deux-là. Mais, nous avons, sous de précédents mandats présidentiels, abandonnés ces deux amis historiques de la France à leur triste sort. L’or du Golfe ayant eu raison de nos sentiments.


 

| Q. Pour vous la France n’est plus la puissance protectrice du Levant ?

Jacques Borde. (Soupir) Non. Et depuis longtemps déjà.

Je vous rappelle, ici, l’épisode honteux de l’ancien Sandjak d’Alexandrette – volé à sa mère-patrie syrienne et livré à la Turquie – grâce aux entourloupes de… Paris. Il y a donc un bout de temps que nous avons pris cette habitude de trahir, pour des dinars à défaut de deniers, nos rares et vrais amis dans cette partie de l’Orient compliqué.

À ce sujet, le livre de Lucien Bitterlin : Alexandrette, le ‘Munich’ de l’Orient ou Quand la France capitulait, même s’il remonte à 1999, me semble une lecture indispensable.

 

Pour lire la suite cliquer sur le lien

 


Historien de formation et spécialiste des questions internationales, ancien journaliste de la presse multimédia, Jacques Borde a longtemps collaboré au site quotidien d’intelligence stratégique geostrategie.com.

Spécialisation en Histoire des religions, Jacques Borde est titulaire d’une Licence d’Histoire (Paris IV Sorbonne). A été Consultant auprès du Neda Institute for Political & Scientific Studies (Téhéran).

Familier des capitales du Moyen-Orient (Amman, Bagdad, Beyrouth, Téhéran, et Tripoli) avec la pratique suivie des cercles dirigeants et entités (ministères, fondation, armées, milices & formations paramilitaires, etc.) des pays, Jaques Borde est également spécialisé dans les questions de Défense & d’armements.



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