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Le programme Scorpion démarre




Publié par Roxane Lauley le 6 Novembre 2014

Les trois industriels participant au programme Scorpion (Nexter, Renault Trucks Defense, Thales) et la direction générale de l'armement (DGA) ont signé le 5 novembre dernier, une commande de 6,5 milliards d'euros sur 18 ans afin de moderniser les forces armées françaises. Si le contrat sera notifié en décembre, il redonne déjà le moral à un secteur performant mais fragilisé par les atermoiements successifs.



Les AMX-10RC, comme les VAB et les ERC-90, figurent sur la liste des véhicules qui doivent être remplacés par ceux du programme Scorpion
Les AMX-10RC, comme les VAB et les ERC-90, figurent sur la liste des véhicules qui doivent être remplacés par ceux du programme Scorpion
Un programme crucial pour l’Armée française

Préparé depuis 2005, le programme Scorpion a l’ambition de renouveler et moderniser des équipements de l’armée de terre, notamment les moyens des Groupements tactiques interarmes (GTIA). Vaste tâche pour les industriels français qui ont répondu à l’appel d’offres tels que Nexter, Thales et Renault Truck Defense (RTD). Déjà, le programme permettra d’intégrer tous les systèmes d'information actuels en un seul et ultime système, permettant à tous les éléments du GTIA de dialoguer selon un même langage et une procédure unique, sur des interfaces compatibles.

Scorpion, c'est aussi une nouvelle génération de systèmes d'armes comme le successeur des VAB (Véhicule de l'avant blindé), qui ont usé leurs pneus sur de nombreux théâtres d’opérations depuis près de 40 ans. Le Véhicule blindé multirôles (VBMR), prendra ainsi le relais au prix demandé d’environ 1 million d'euros TTC l'unité (hors armements). Bien qu’ayant chacun de leur côté proposé des solutions sous forme de démonstrateurs technologiques (XP2 pour Nexter et plus récemment BMX 01 pour RTD), le futur VBMR sera  le fruit de la coopération entre Nexter Systems et Renault Trucks Defense, qui ont conclu un accord de coopération en novembre 2011 afin de proposer une solution unique. Ainsi, l'armée de terre doit acquérir 92 VBMR au cours de la période de la loi de programmation militaire (LPM) sur les 2080 blindés prévus au total et livrés à compter de 2018.

Le programme s’attache également à renouveler les engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) tels que l’AMX 10RC, l’ERC 90 et le défunt VAB Hot. Le nouveau parc d’EBRC dont l’objectif est fixé à 248 pièces, sera équipé du nouveau missile moyenne portée, le MMP fourni par MBDA et du canon de 40 mm télescopé, développé par Nexter en joint-venture avec BAE Systems. Scorpion prévoit également la modernisation de 200 chars Leclerc avant 2025, afin de leur assurer une durée de vie opérationnelle jusqu’en 2040 a minima.

Doté d’un budget de plus de 6 milliards d’euros, ce programme permettra à l’armée française de maintenir son niveau opérationnel mais également de répondre aux enjeux opérationnels de demain. Le défi l’est également sur le terrain industriel pour des entreprises françaises qui qui craignaient la prolongation d’une quasi traversée du désert.

… et pour l’industrie française

Indéniablement, le 5 novembre dernier a mis fin au suspense vécu par les industriels français. Si le budget annoncé est inférieur aux estimations qui avaient couru dans la phase préparatoire au lancement du programme, l’industrie française ne peut être que soulagée et satisfaite de ces perspectives. Les parties prenantes, Thales, Nexter et Renault Trucks Defense ainsi que la Direction générale de l’Armement, se sont donc accordées sur un contrat de 6,5 milliards d'euros. Cette somme sera échelonnée jusqu’en 2032 aux trois spécialistes français de la défense. 1 milliard d'euros ont d'ores et déjà été débloqués par la LPM votée en 2014 et qui recouvre la période jusqu'à 2019.

Nexter devrait se tailler la part du lion et toucher ainsi la moitié des fonds alloués au programme afin de développer et fabriquer les fameux VBMR et EBRC en tant qu’intégrateur-systémier. Nexter comptait beaucoup sur cette commande exceptionnelle. En effet les derniers VBCI sont sur les chaines de production, la fin de production des 630 VBCI étant annoncée pour 2015. Cette commande permettra de rééquilibrer le carnet de commandes de l’industriel français encore inférieur à celui de Krauss-Maffei Wegmann (2 milliards  contre 4 milliards d’euros) auquel il souhaite s’allier, en dépit des réticences politiques en Allemagne. La part de Renault Trucks Défense (RTD) devrait s’élever tout de même à 2,4 ou 2,8 milliards d'euros.

A la clef du programme Scorpion, la préservation en France d’un tissu d’emplois riche et diversifié dans le secteur de la défense. Cet atout français représente 165 000 emplois à forte valeur ajoutée et difficilement délocalisables. Il concerne tant les grands groupes que des plus petites structures, depuis le maître d’ouvrage jusqu’au savoir-faire spécifiques détenus massivement par les PME (elles seraient 4000 à irriguer l’économie des territoires).

Un sésame pour l’export français ?

L’enjeu du programme Scorpion se comprend également en matière d’exportation comme l’a précisé le ministre de la Défense. « L'enjeu, c'est aussi bien sûr de continuer d'améliorer leur positionnement à l'export, dans des secteurs qui devraient connaître une croissance nette dans les années à venir », a assuré Jean-Yves Le Drian lors du dernier Eurosatory. Il faut dire que le ministre entend pérenniser les exportations françaises en matière d’armement qui ont connu, en 2013, une véritable flambée. Ainsi, la France a reconquis le terrain de l’armement avec une hausse de 31% des exportations d’armement français l’an passé. De plus, si les entreprises françaises du secteur ne représentent que 1 % des sociétés exportatrices en France, elle contribue à près d’un quart des exportations totales de la France sur la période 2010-2013. « Ce secteur voit la demande s'accroître, notamment pour des véhicules qui soient porteurs des meilleurs systèmes, ceux dans lesquels les industriels français sont parmi les meilleurs : optronique, vétronique, détection de tir, navigation… ». Le ministre mise sur 8 milliards d’euros d’exportations d’armement français en 2014. L'EBRC par exemple, présenteraient de nombreux atouts pour s'imposer grâce à ses performances en zone urbaine.

Ainsi, le programme Scorpion représente une formidable vitrine du savoir-faire français. « C’est d’autant plus stratégique que la référence française reste clé pour réussir à l’export. La première question que nous posent les armées étrangères c’est : "est ce que l'armée française utilise votre produit ? » confirme Stefano Chmielewski, patron de Renault Trucks Defense. La marque France, portée par son armée, a la côte et inspire donc confiance à l’étranger. De plus, Scorpion s’inscrit parfaitement dans la lignée des programmes mis au point par deux grandes armées occidentales : le FCS (Future Combat System) américain, conduit par Boeing, et le FRES (Future Rapid Effects System)  britannique copiloté par Thales UK et l'Américain Boeing. Un programme qui colle donc aux besoins contemporains et pétri d’un certain réalisme, contrairement à d’autres.

Et la France pourra vraisemblablement compter sur ses ambassadeurs compétitifs sur le marché mondial afin de tenter quelques percées stratégiques. Le patron de RTD confiait en marge du dernier Eurosatory que « l’objectif [de l’entreprise] est de consolider notre présence en France et augmenter notre présence en Afrique d'au moins 10 % par an sur les prochaines années ». Scorpion sera-t-il un argument supplémentaire à glisser dans son argumentaire ? Nexter, quant à lui, pourrait continuer de chasser sur les terres d’Arabie Saoudite ou plus largement du Moyen Orient, (re)devenu un des partenaires privilégiés de l’armement français. L’artillerie pourrait également être un pont de jonction avec la Thaïlande ou l’Indonésie, où il vend déjà ses best-sellers comme le Caesar. Thales a signé de son côté en début d’année un contrat avec le Brésil, auquel il va fournir un instrument intégré IESI (Integrated Electronic Stand-by Instrument) pour moderniser la flotte d'hélicoptères Esquilo/Fennec de l'armée de Terre brésilienne. Enfin les regards peuvent également se tourner vers la Turquie  qui a dévoilé son « Plan Force 2014 » avec un budget prévisionnel de 150 milliards de dollars sur 25 ans visant à moderniser ses forces armées. Si l’industrie nationale turque est fortement impliquée dans ce plan, la France pourrait se positionner comme un partenaire expérimenté sur ce secteur, même si le dossier risque une fois encore d’être contaminé par des considérations politiques.

Quoiqu’il en soit cette (bonne) nouvelle pose la question du budget de la défense comme levier de croissance et d’industrialisation. Et ils ne sont malheureusement pas nombreux par les temps qui courent. Reste à savoir si ce Scorpion ci résistera aux travers bien connus des programmes d'armements, qui voient généralement les ambitions (et les commandes) chuter en cours de production.



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