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Eric Denécé: "L'arabie saoudite en guerre indirecte contre Téhéran"




Publié par Romain Lambert le 16 Octobre 2017

Alors que les projecteurs des médias occidentaux sont essentiellement braqués sur les événements d’Irak, de Syrie et de Libye, il est un conflit dont peu de journalistes parlent : celui du Yémen. Un remarquable ouvrage récemment publié chez VA Editions, La Menace mondiale de l’idéologie wahhabite, évoque sans langue de bois cette guerre oubliée déclenchée par l’Arabie saoudite contre l’un de ses voisins, le Yémen, l’un des Etats les plus pauvres au monde. Nous avons interrogé à ce sujet Eric Denécé, ancien directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) et coordinateur de cet ouvrage.



Q : Que se passe-t-il vraiment au Yémen ?

Depuis mars 2015, l’Arabie saoudite - à la tête d’une coalition composée de l’Arabie saoudite, des Emirat arabes unis (EAU), de l’Egypte, du Soudan, de la Jordanie, du Qatar, du Bahreïn, du Koweït, du Sénégal et du Maroc - a déclenché une guerre sanglante au Yémen, laquelle semble ne pas intéresser les médias internationaux, contrairement au conflit syrien, aux combats contre l’Etat islamique et aux actions terroristes commises par cette organisation. Alors que Riyad ne participe que très marginalement aux opérations contre Daech, l’Arabie saoudite a été capable de réunir autour d’elle, une coalition internationale de 150 000 hommes pour conduire une guerre d’agression au Yémen. Elle a retiré en cette occasion la dizaine d’aéronefs qui participaient mollement aux bombardements contre Etat islamique en Irak, pour en déployer une centaine à sa frontière sud.

Début 2016, la coalition s'est donnée pour mission de « finir le travail » en envoyant des troupes au sol (10 000 hommes) afin de chasser les rebelles de l'ouest du pays. Mais elle s’est enlisée, malgré les bombardements intenses qui ont accompagné l’offensive des forces terrestres qui ont enregistré des pertes sévères. Face à elles, les Houthis, sont vus par une partie de la population comme luttant contre l’envahisseur !

A noter que les Américains et les Britanniques ont apporté une aide logistique et en renseignements à Riyad et que la France, l'Espagne et la Belgique ont applaudi l'opération saoudienne. 

Q : Quelle est la finalité de cette intervention pour les Saoudiens ?

Pourquoi les Saoudiens ont-ils déployé une telle armada, mobilisé leur Garde nationale et battu le rappel de leurs alliés arabes, asiatiques et occidentaux pour lancer une offensive contre les tribus d’un pays voisin, alors que Riyad ne fait absolument rien contre l’Etat islamique ? C’est parce que les Houthis sont des zaydites, une secte de l’islam proche du chiisme, donc censés être proches de l’Iran aux yeux des Saoudiens. C’est donc une guerre indirecte contre Téhéran. Pourtant, les Houthis se battent, non pour imposer au monde une vision violente, obscurantiste et sectaire de l’islam, mais pour retrouver une autonomie et une considération vis-à-vis du gouvernement d’Aden qui leur ont été retirées en 1962. Ils ne représentent en rien une menace pour la sécurité du Moyen-Orient ni pour la paix mondiale, même s’ils ont demandé le soutien de Téhéran pour faire face à l’agression de Riyad.

Q : Ce n’est pourtant pas dans la tradition des Saoudiens de conduire des opérations militaires hors de leurs frontières ?

Détrompez-vous, Riyad a toujours été très actif pour accroître son influence internationale, y compris par les armes. L’Arabie Saoudite, non contente d’exporter le wahhabisme de par le monde, de soutenir les djihadistes et de réprimer sa propre population chiite n’hésite pas à intervenir militairement en dehors de ses frontières sans que les Occidentaux ne protestent.

L’armée de Riyad est intervenue à Bahreïn à l’occasion du printemps arabe (2011) pour mater une révolte populaire sans que personne ne proteste. Aujourd’hui, la répression brutale des Bahreïnis - majoritairement chiites - qui réclament le respect de leurs droits élémentaires par la famille Al-Khalifa qui dirige l’émirat de façon dictatoriale, s’est accentuée avec le soutien de Riyad, avec encore moins de vergogne qu’auparavant.

Q : Quelle est l’ampleur des destructions engendrées par ce conflit au Yémen ?

Il convient de parler de véritables crimes contre l’humanité commis par la coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen. Les Saoudiens affirment que leur coalition a largué 90 000 bombes pendant cette guerre qui dure depuis deux ans. Cela fait 123 bombes par jour, soit 5 par heure. Rien qu’en avril 2015, la coalition a conduit plus de 1 700 raids aériens, soit jusqu’à 80 certains jours ; on aurait bien aimé voir ces moyens engagés contre Daech.

Toutes les infrastructures vitales du pays ont été détruites : installations de production alimentaire, barrages, hôpitaux, électricité, infrastructures routières, aériennes et portuaires, etc. Des milliers de civils ont été tués, notamment de nombreux enfants. Le choléra est désormais à l’état épidémique et les ressources médicales et de première nécessité ont du mal à atteindre le pays

Les zones tenues par la rébellion sont véritablement affamées par les Saoudiens et leurs alliés. La situation humanitaire est catastrophique : plus de 10 000 victimes sont à déplorer - chiffre vraisemblablement largement sous-évalué - auxquelles il convient d’ajouter 18 millions de Yéménites confrontés à la famine et aux épidémies en raison du blocus imposé par la coalition.
Selon les Nations unies, le Yémen connaît aujourd'hui un vrai désastre humanitaire. Preuve en est, les réfugiés n'hésitent plus à tenter de rejoindre la Somalie où pourtant, la guerre civile perdure également. Les déplacés seraient au nombre de 1,5 million et les personnes dépendant directement de l'aide alimentaire plus de 3,5 millions pour 25 millions d’habitants. Aucun couloir humanitaire n'a été décrété et les trêves conclues péniblement ne dépassent pas quelques heures.

Q : Comment expliquez-vous le silence des politiques et des médias sur ce conflit ?

A la différence d'autres théâtres d'opérations comme la Syrie, les horreurs commises dans ce conflit armé n’attirent guère l’intérêt du monde politico-médiatique occidental. Ce manque de réaction n'est pas uniquement dû à l'éloignement et à l'isolement du Yémen, mais aussi et surtout, à la volonté de ne pas irriter les puissants monarques arabes qui sont les premiers clients de l'Occident, notamment en matière d'armements.

Rappelons que les États-Unis fournissent les renseignements, le ravitaillement en vol, l’armement et les munitions à leurs alliés saoudiens. Et la France et le Royaume Uni soutiennent cette opération. Surtout, Riyad a menacé l’ONU d’arrêter de fournir de l’argent pour ses efforts de secours si elle dénonçait cette guerre. D’ailleurs, le Conseil de Sécurité a voté - à l’exception notable de la Russie - le 16 avril 2015, la légitimation de l’agression sous le chapitre 7, ce qui est un scandale et décrédibilise l’ONU. Les Occidentaux, en restant délibérément silencieux sur les atrocités commises par l’Arabie Saoudite et ses alliés au Yémen sont complices de ces crimes contre l’humanité.

Q : Quelles sont les conséquences régionales de ce conflit ?

Paradoxalement, malgré l’importance des moyens engagés, l’intervention des Saoudiens et de leurs alliés demeure un fiasco militaire. Elle s’avère par ailleurs totalement contre-productive, ayant eu pour effet de renforcer la présence d’Al-Qaeda dans la péninsule arabique (AQPA) au Yémen, et de permettre l’implantation locale d’une branche de l’Etat islamique.

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