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Armes chimiques syriennes : saura-t-on un jour qui possède quoi ?




le 26 Janvier 2016

« Massacre à l’arme chimique en Syrie selon l’opposition ». C’était le titre de l’article de Libération paru en août 2013 à la suite d’une attaque à Damas, plus connue par la suite sous le nom de Massacre de la Ghouta. Un bilan d’environ 1300 morts dont la responsabilité était alors attribuée au gouvernement Syrien, forçant Bachar Al Assad à livrer pour destruction l’ensemble de son arsenal chimique. Alors que l’ONU vient de déclarer complète la destruction de ces armes, comment expliquer qu’aujourd’hui encore, les attaques chimiques continuent en Syrie ?



La Ghouta : un mystère encore non-élucidé aujourd’hui ?

Retour en arrière. Nous sommes le 21 août 2013 lorsqu’une attaque à l’arme chimique est lancée contre la population civile syrienne dans la région de Damas. Un incident qui aura couté la vie à 1300 personnes et dont le bilan est encore lourd de conséquences aujourd’hui. Une question taraude alors la communauté internationale : qui sont les auteurs de cet « acte abject » ? (2) A l’époque, « les responsables de cet usage effroyable d'armes chimiques en Syrie ne font aucun doute : c'est le régime syrien » déclare alors Joe Biden, le vice-président américain. Pointé du doigt par les puissances occidentales, Bachar Al Assad accepte alors, après médiation russe, la destruction complète de son arsenal chimique.

Alors que Ban Ki-Moon déclarait dans une lettre au Président du Conseil de Sécurité le 29 décembre 2015 la fin du processus de destruction de cet arsenal, l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques rend publique la découverte de corps qui auraient été exposés à du gaz sarin après la remise de l’arsenal syrien pour destruction. L’affaire des armes chimiques syriennes prend alors une toute autre tournure, car le sarin n’est pas une arme chimique commune : contrairement à certaines armes chimiques « improvisées » (chlore industriel par exemple…) utilisées en Syrie, la présence de sarin suppose de véritables savoir-faire, que ce soit en termes de fabrication, de stockage et d’usages.

Bien que ce rapport reste prudent quant aux conditions dans lesquelles ces personnes ont été exposées, cette révélation pose néanmoins une question : comment est-il possible que l’utilisation de ce type d’armes continue alors que le gouvernement syrien a déclaré avoir reis l'ensemble de ses armes et précurseurs ? Si c’est bien le cas, et si le gouvernement syrien n’est pas lié à ces attaques, qui est à l’origine de ces utilisations ? Le doute s’installe… Un doute qui est d’ailleurs renforcé par un rapport du MIT publié en 2014 qui estimait que « Bachar el-Assad ne serait pas à l'origine de l’attaque chimique de la Ghouta. » C’est après un nouvel examen scientifique des points d’impact et de lancement des roquettes que le MIT déclare : « nous pouvons aujourd'hui affirmer à 100 % que tout point à deux kilomètres des impacts se situe en territoire rebelle. Mais cela ne signifie pas obligatoirement que ce sont les rebelles qui ont tiré. » Sujet à polémique depuis sa parution, ce rapport a ravivé de nombreuses questions : qui est donc réellement en possession d’armes chimiques ? Depuis combien de temps ? Si ce sont les rebelles, les fabriquent-ils (ce qui sous-entendrait la présence de laboratoires) ? Ou, à défaut, qui les leur procure ? Et de surcroit, depuis quand en auraient-ils ? Les réponses, pour autant que nous les ayons un jour, serait de nature à remettre en question les certitudes occidentales sur la responsabilité d’Assad dans l’attaque du Ghouta.

Beaucoup plus de questions que de réponses

S’il est possible que Bachar Al Assad ait menti sur ses stocks d’armes chimiques, cette hypothèse ne semble pas la plus plausible. Les armes chimiques représentent en effet un intérêt tactique quasi nul, pour des effets stratégiques désastreux pour le gouvernement syrien : se faire prendre à utiliser (de nouveau ?) ce genre d’armes et se mettre, de fait, l’ensemble de la communauté internationale à dos est un pari que l’on peut juger très risqué, en contrepartie d’un intérêt militaire discutable, surtout depuis le début de l’intervention russe.

Reste donc l’hypothèse d’armes chimiques avancées aux mains des rebelles ou de l’état islamique. Si ces derniers sont soupçonnés depuis longtemps de détenir des armes chimiques artisanales, leur éventuelle détention de gaz sarin pourrait avoir de toutes autres conséquences… Cette hypothèse inquiète, considérant l’expansion de l’Etat Islamique au Moyen-Orient et en Libye. S'il est très peu probable de voir une arme chimique transportée puis utilisée jusque dans une capitale européenne, ce n'est pas le cas des villes de Turquie par exemple. La porosité de la frontière entre le Syrie et la Turquie est une source d'inquiétudes pour toute l'Europe mais la Turquie pourrait être la première à en faire les frais, comme ce fut le cas récemment par deux fois.  

S’il est peu probable que l’état islamique soit lié à l’attaque de 2013, époque où il en était encore à un stade embryonnaire en Irak, il est tout à fait possible qu’il en soit détenteur aujourd’hui. Le site arabe Al-Masdar news écrit ainsi que le rapport évoqué plus haut suspecte que le sarin incriminé aient en fait été volé dans les anciennes réserves libyennes sous l’ « ère » Kadhafi. Des armes qui auraient ensuite transitées par la Turquie avant de passer en Syrie. Invérifiables, non sourcées et fournies par des médias sujets à caution, ces informations font néanmoins écho aux nombreuses allégations de trafics d’armes entre la Turquie et l’Etat Islamique (voir ici, ici ou ici). S’il n’est pas possible de connaitre le degré d’implication des officiels turcs dans ces trafics, il pourrait s’agir là d’un échange « pétrole contre armements », la Turquie étant connue pour accepter une partie du pétrole vendu par l’EI. Mais quoi qu’il en soit, le transit d’armes chimiques donnerait une autre dimension à ces trafics, qui ne pourraient plus être « tolérés » (à tout le moins) par la Turquie.

Un discours médiatique sujet à caution

Par un curieux renversement des rôles depuis 2013, alors que l’EI fait figure d’ennemi public numéro 1, nombre de médias s’emploie désormais à dédouaner Bachar Al Assad. Or, si son implication dans les attaques de la Ghouta reste à prouver, il n’est pas non plus possible aujourd’hui de le déclarer de but en blanc innocent des dernières attaques. Comment interpréter ce glissement d’un discours médiatique anti-Assad à un discours qui le dédouane de sa responsabilité ?

Au delà du peu de sources concernant cette découverte, un premier point est notable : les articles se réfèrent à un rapport de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques qu’il est, à l’heure où nous écrivons ces lignes, très difficile voire impossible de trouver. Il est possible néanmoins d’en trouver des extraits, mais aucun de ces extraits ne mentionne l’origine supposée du gaz sarin (Syrie ou Libye), contrairement à ce qu’avance le site Al Masdar. Le site canadien Global Research a pourtant relayé l’information, mais sans aucune distance critique. Par ce procédé, le discours médiatique fait ainsi de ces hypothèses des vérités, jouant dangereusement entre information et manipulation. Bien que personne n’ait pour l’instant officiellement attribué la responsabilité à un camp ou à l’autre, les articles cités sous-entendent néanmoins l’implication des groupes rebelles dans ces nouvelles attaques, en tordant au passage les faits. Le discours médiatique est-il dépendant des aléas du jeu diplomatique international ? Bachar Al Assad ne manque pas d’alliés au Moyen-Orient, mais on serait en droit d’attendre un peu plus de distance critique de la part des médias occidentaux. Si transmettre de l’information 100% objective semble souvent difficile, véhiculer de l’information vérifiée reste le minimum syndical. La reprise sans regard critique ou explication par le site canadien Global Research de suppositions présentées comme des faits frôle la désinformation.

Alors que le rapport n’incrimine pas explicitement l’opposition, comment est-il possible qu’un média d’information titre son article « l’OIAC le confirme : les rebelles ont utilisé des armes chimiques, pas Assad ». Bien que la question de la détention d’armes chimiques par les rebelles, et l’EI en particulier, mérite d’être posée, la prudence devrait être de mise, surtout sur d’un sujet si sensible et lourd de conséquences.



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